Dans un précédent article, nous avons abordé la notion de volonté sous l’angle de la philosophie dans un contexte historique et sous l’angle de diverses civilisations. Cet article aborde de son côté les aspects psychologiques, pour mieux en comprendre les mécanismes. Une fois que vous aurez lu cet article, vous en saurez plus que la plupart des gens sur la volonté. Un conseil : prenez des notes au passage.
La Volonté dans la Psychologie : Motivation, Autorégulation et Personnalité
Dans le domaine de la psychologie, la volonté a été étudiée sous différents angles, notamment en lien avec la motivation, l’autorégulation et la personnalité.
Du point de vue de la motivation, les psychologues ont examiné comment la volonté intervient dans l’initiation, la direction et la persistance des comportements orientés vers un but. Ils ont notamment mis en évidence le rôle clé de la volonté dans la capacité à surmonter les obstacles et à poursuivre ses objectifs malgré les difficultés.
L’autorégulation, quant à elle, fait référence à la capacité de contrôler ses pensées, ses émotions et ses actions. Les psychologues ont montré que la volonté joue un rôle essentiel dans ce processus, permettant aux individus de résister aux tentations, de retarder la gratification et de persévérer dans leurs efforts.
Sur le plan de la personnalité, certains psychologues ont considéré la volonté comme un trait stable, une caractéristique individuelle qui influence la façon dont les gens font des choix et gèrent leurs comportements. Ainsi, la force de volonté a été associée à des résultats positifs, comme de meilleures performances académiques, une meilleure santé et un plus grand bien-être.
Parallèlement, d’autres psychologues ont remis en question l’idée d’une volonté stable, la décrivant plutôt comme un processus dynamique, influencé par des facteurs situationnels et contextuels. Selon cette perspective, la volonté peut varier en fonction des circonstances et des ressources mentales disponibles.
Les recherches en psychologie ont également exploré les liens entre la volonté et d’autres construits psychologiques, comme l’estime de soi, le contrôle de soi et la résilience. Elles ont ainsi contribué à une meilleure compréhension de la complexité de la volonté en général, donc de l’exécution des tâches puisque la volonté précède l’action – comme nous l’écrivions précédemment, « la volonté est une force consciente qui sous-tend nos choix et nos actes« .
Voici donc un résumé des travaux des différents psychologues qui ont étudié ce domaine fascinant, dans une frise historique qui débute vers la fin du 19ème siècle.
Le précurseur, William James et la capacité à traduire la volonté en actes
Philosophe et psychologue américain, William James (1842-1910) est souvent considéré comme l’un des pères fondateurs de la psychologie moderne. Son ouvrage The Principles of Psychology (1890) constitue un texte de référence, où il explore de manière approfondie la formation et l’interaction de deux concepts clés : la volonté et l’habitude. Pour James, la volonté est une force mentale permettant à l’individu de mobiliser son énergie et de choisir d’agir, même face à des résistances ou à des distractions. Il souligne ainsi que la volonté ne se limite pas à un simple désir de faire quelque chose, mais implique la capacité à traduire ce désir en actes concrets.
Dans le même temps, James met en évidence l’importance cruciale de l’habitude dans la vie quotidienne, une notion que l’on retrouve aujourd’hui dans la littérature de « self-help » d’origine américaine comme le fameux ouvrage de James Clear, « Atomic Habits ».
Selon James, si la volonté initie et soutient l’action, l’habitude, elle, en assure la pérennité et l’efficacité. Plus les habitudes sont « saines » ou constructives, plus il est facile d’exercer sa volonté sans gaspiller d’énergie psychique. Au contraire, des habitudes « mauvaises » peuvent renforcer l’inertie et rendre les choix volontaires plus difficiles à mettre en pratique. Selon James, la création d’habitudes positives favorise donc une meilleure utilisation de la volonté au quotidien, puisqu’elle permet de réserver ses ressources mentales pour les décisions exigeantes et de ne pas disperser sa force de volonté dans des luttes incessantes contre de mauvaises habitudes déjà installées.
Grâce à cette articulation entre volonté et habitude, James propose une vision pratique et pragmatique de la psychologie : au-delà de la simple connaissance de soi, il invite le lecteur à transformer concrètement sa vie en développant des automatismes vertueux. Ce faisant, il préfigure l’importance accordée, dans la psychologie contemporaine, à la formation de routines bénéfiques et à la gestion de l’énergie mentale pour atteindre ses objectifs.
Alfred Adler, la volonté de puissance
Alfred Adler (1870-1937), psychiatre autrichien et ancien collaborateur de Freud, développe une vision unique de la volonté humaine à travers sa « psychologie individuelle ». Pour lui, la volonté s’exprime principalement à travers ce qu’il nomme la « volonté de puissance », un concept qu’il emprunte à Nietzsche mais qu’il réinterprète de façon radicalement différente.
Contrairement à une interprétation superficielle, la volonté de puissance selon Adler n’est pas un désir de domination sur les autres, mais une force vitale positive qui pousse l’individu à se dépasser. Cette conception est intimement liée à sa théorie du sentiment d’infériorité. Selon lui, tout être humain expérimente dès l’enfance un profond sentiment d’infériorité face au monde des adultes et à ses propres limitations. La volonté devient alors le moteur qui permet de transformer ce sentiment d’infériorité initial en une force de développement personnel.
Ce qui rend la théorie d’Adler intéressante est sa compréhension de la volonté comme une force sociale et non purement individuelle. Cette approche n’est pas sans rappeler les points de vue philosophiques de Spinoza ou Foucault évoqués dans notre article consacré à l’approche philosophique du concept de volonté.
Pour Adler, la véritable volonté de puissance ne s’exprime pas dans l’isolement ou la domination, mais dans la capacité à contribuer positivement à la communauté. Il développe ainsi le concept de « sentiment social » (Gemeinschaftsgefühl), suggérant que la volonté la plus saine est celle qui cherche à harmoniser le développement personnel avec le bien-être collectif.
Adler observe que la volonté se manifeste différemment selon le « style de vie » de chaque individu, un pattern (ou modèle) unique qui se forme dans l’enfance en réponse aux défis de la vie. La volonté n’est donc pas une force abstraite, mais s’exprime toujours dans un contexte biographique spécifique. Par exemple, un enfant qui lutte contre une maladie chronique peut développer une volonté particulièrement forte de surmonter les obstacles physiques, transformant sa faiblesse initiale en force.
Dans la pratique thérapeutique, Adler met l’accent sur le renforcement de la volonté à travers l’encouragement plutôt que l’interprétation. Il considère que la volonté peut être éduquée et renforcée, notamment en aidant l’individu à reconnaître sa capacité d’action et à développer son courage. Cette approche contraste fortement avec la vision déterministe de Freud, donnant une place centrale à l’agentivité humaine.
Un aspect fascinant de sa théorie est sa compréhension de la façon dont la volonté peut se dévoyer, une idée que les philosophies orientales (Confucianisme, Taoisme, Zen…) mettent également en avant. Quand le sentiment social est insuffisamment développé, la volonté de puissance peut se transformer en recherche de supériorité personnelle, menant à des comportements compensatoires dysfonctionnels. Pour Adler, la névrose résulte souvent d’une volonté mal orientée, qui cherche une validation personnelle au détriment de la contribution sociale.
Cette vision d’une volonté orientée vers le dépassement de soi et la contribution sociale reste moderne, au regard de l’approche actuelle du sens et de l’engagement puisque la véritable force de volonté ne se mesure pas seulement à notre capacité à atteindre des objectifs personnels, mais aussi à notre aptitude à contribuer positivement au bien commun, qu’il s’agisse de nos proches ou de la société toute entière. Cette idée est à mettre en regard avec les notions de self-help qui nous conseillent la pratique de la gratitude, parce que cette dernière est un moyen de connecter le sens de notre vie et de notre être avec le sens plus large du monde qui nous entoure.
Kurt Lewin et les interactions
Kurt Lewin (1890-1947) est une figure majeure de la psychologie sociale et organisationnelle. Né dans une famille juive à Mogilno, alors en Prusse (aujourd’hui en Pologne), son parcours intellectuel et personnel est profondément marqué par le contexte historique de son époque.
Sa formation académique débute en Allemagne, où il est influencé par la psychologie de la Gestalt, un courant qui met l’accent sur la perception des formes et des structures dans leur globalité. Cette influence se retrouvera plus tard dans sa conception holistique du comportement humain.
Lewin a développé une théorie sophistiquée de la volonté dans le cadre de sa théorie du champ psychologique, qui représente une approche novatrice en psychologie sociale et dynamique. Pour Lewin, le comportement humain doit être compris comme le résultat d’une interaction complexe entre la personne et son environnement psychologique immédiat, qu’il nomme « champ » ou « espace de vie » (Lebensraum).
Dans cette perspective, la volonté n’est pas simplement une force intérieure isolée, mais une composante dynamique qui s’exprime dans un champ de forces psychologiques. Lewin utilise des concepts issus de la physique pour décrire ces dynamiques : les « valences » (positives ou négatives) représentent l’attrait ou la répulsion qu’exercent différents objets ou buts dans l’environnement psychologique, tandis que les « tensions » décrivent l’état énergétique du système psychologique.
La tension psychologique, concept central dans sa théorie, naît d’un besoin ou d’une intention non satisfaite. Cette tension crée un état de déséquilibre qui pousse à l’action. Par exemple, un objectif non atteint génère une tension qui persiste jusqu’à ce que l’objectif soit réalisé ou abandonné. Ce phénomène, que Lewin appelle l' »effet Zeigarnik » (d’après son étudiante Bluma Zeigarnik), explique pourquoi nous nous souvenons mieux des tâches inachevées.
Les valences, quant à elles, représentent la charge émotionnelle et motivationnelle attachée aux objets et situations dans notre champ psychologique. Un même objet peut avoir des valences différentes selon le contexte et l’état de la personne. La volonté s’exprime alors comme la capacité à naviguer dans ce champ de valences, à résister à certaines attractions et à poursuivre des buts malgré les obstacles.
Lewin introduit également le concept de « barrières » psychologiques qui peuvent entraver l’action volontaire. Ces barrières peuvent être externes (obstacles physiques ou sociaux) ou internes (peurs, inhibitions). La force de la volonté se manifeste dans la capacité à surmonter ces barrières pour atteindre un but désiré.
Sa théorie met en évidence l’importance du « niveau d’aspiration », qui représente le but que la personne se fixe en fonction de ses expériences passées, de ses capacités perçues et du contexte social. Ce niveau d’aspiration influence directement l’exercice de la volonté en définissant les standards que la personne cherche à atteindre.
L’approche de Lewin souligne également le rôle fondamental du groupe social dans la formation et l’expression de la volonté individuelle. Les normes sociales, les attentes du groupe et le sentiment d’appartenance créent un champ de forces qui influence significativement les décisions et les actions individuelles. Il faut dire que pendant la Première Guerre mondiale, Lewin sert dans l’armée allemande et est blessé au combat. Cette expérience influence sa réflexion sur les dynamiques de groupe et les conflits.
Cette conceptualisation dynamique de la volonté a eu une influence majeure sur la psychologie sociale et la théorie des organisations. Elle a notamment inspiré des recherches sur la résolution de conflits, la prise de décision en groupe et le changement organisationnel. La théorie de Lewin continue d’influencer notre compréhension de la façon dont la volonté opère dans des contextes sociaux complexes.
En pratique, cette théorie suggère que pour comprendre et renforcer la volonté, il faut considérer non seulement les facteurs individuels mais aussi l’ensemble du champ psychologique : les buts disponibles, les obstacles présents, les supports sociaux, et la configuration générale des forces en présence. Cette approche holistique reste pertinente pour comprendre les défis contemporains liés à la motivation et au changement comportemental.
Carl Jung, le navigateur de l’âme
Carl Jung (1875-1961), psychiatre suisse et figure majeure de la psychologie analytique, développe une vision complexe et nuancée de la volonté humaine, profondément liée à sa théorie de l’inconscient collectif et des archétypes. Contrairement à la vision purement rationnelle de la volonté, Jung la conçoit comme une force qui doit naviguer entre les différentes dimensions de la psyché.
Pour Jung, la volonté ne peut être comprise isolément, mais doit être vue dans le contexte plus large de la psyché humaine. Il identifie une tension fondamentale entre la volonté consciente, qui émane du moi, et les forces plus profondes de l’inconscient. Cette tension n’est pas nécessairement antagoniste : Jung insiste sur le fait que la véritable force de volonté réside dans la capacité à établir un dialogue constructif entre ces différentes instances psychiques.
L’originalité de sa pensée réside dans sa compréhension de la relation entre la volonté individuelle et l’inconscient collectif. Pour Jung, notre volonté personnelle est constamment influencée par des patterns universels de comportement et de pensée qu’il nomme archétypes. Ces archétypes ne sont pas des forces qui limitent notre volonté, mais plutôt des ressources profondes qui peuvent la nourrir et l’orienter. Par exemple, l’archétype du héros peut inspirer notre volonté de dépassement, tandis que l’archétype du sage peut guider notre volonté vers la recherche de sagesse.
Jung met particulièrement l’accent sur le danger d’une volonté trop rigide ou unilatérale. Il observe que lorsque la volonté consciente tente de dominer complètement la psyché, ignorant les signaux de l’inconscient, cela peut mener à des déséquilibres psychologiques significatifs. Pour lui, une volonté saine doit être suffisamment souple pour intégrer les messages de l’inconscient, qui s’expriment souvent à travers les rêves, les intuitions et les synchronicités.
La notion d’individuation, centrale dans la pensée jungienne, éclaire également sa conception de la volonté. L’individuation est le processus par lequel une personne devient pleinement elle-même, en intégrant les différents aspects de sa psyché. Dans ce processus, la volonté joue un rôle crucial mais paradoxal : elle doit être suffisamment forte pour maintenir une direction, tout en restant suffisamment humble pour reconnaître et accepter les influences de l’inconscient.
Jung accorde une importance particulière à ce qu’il appelle la « fonction transcendante », cette capacité psychique qui permet de réconcilier les opposés. Dans le contexte de la volonté, cela signifie trouver un équilibre dynamique entre action et réceptivité, entre contrôle et lâcher-prise, à la manière de ce que suggère la philosophie orientale du Taoïsme qui valorise « l’action sans forcer » qui va s’inscrire naturellement dans le flux des choses, sans tenter de dominer ni de contrôler à outrance.
Jung suggère ainsi que la véritable maturité psychologique se manifeste non pas dans une volonté de fer qui impose sa direction, mais dans une volonté souple capable de danser avec les forces profondes de la psyché.
Cette conception a des implications pratiques importantes. En thérapie, Jung encourage ses patients à développer une relation plus nuancée avec leur volonté, en apprenant à écouter leurs rêves, à honorer leurs intuitions et à reconnaître les messages symboliques de leur inconscient. Il voit dans cette approche un moyen de développer une volonté plus authentique et plus efficace, car alignée avec l’ensemble de la psyché, qu’on pourrait qualifier de « expérience intérieure ».
Maslow et la pyramide des besoins
Abraham Maslow (1908-1970) a profondément marqué la psychologie humaniste avec sa vision unique de la volonté humaine, qu’il articule autour de sa célèbre hiérarchie des besoins.
Pour lui, la volonté n’est pas une force abstraite ou uniforme, mais une énergie dynamique qui évolue et se transforme selon le niveau de développement psychologique de l’individu.
Au cœur de cette théorie se trouve l’idée que la volonté est fondamentalement orientée vers la satisfaction de besoins hiérarchisés.
Au niveau le plus basique, la volonté est d’abord mobilisée pour assurer notre survie : se nourrir, se loger, dormir. Ces besoins physiologiques, une fois satisfaits, laissent place à une volonté orientée vers la sécurité et la stabilité. Maslow observe que tant que ces besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits, la volonté reste principalement focalisée sur leur obtention, limitant notre capacité à poursuivre des objectifs plus élevés.
Une fois ces premières strates assurées, la volonté se tourne vers des besoins plus sophistiqués : l’appartenance sociale et l’amour. À ce niveau, elle s’exprime dans la recherche de relations significatives, d’acceptation et d’intimité. La volonté devient alors une force de connexion plutôt que de pure survie. Cette transformation est importante car elle marque le passage d’une volonté centrée sur soi à une volonté qui intègre l’autre.
Le quatrième niveau concerne l’estime de soi et la reconnaissance. Ici, la volonté se manifeste dans la recherche d’accomplissement, de respect et de reconnaissance sociale. Maslow note que cette expression de la volonté est particulièrement importante dans notre société moderne, où l’identité et la valeur personnelle sont étroitement liées à nos réalisations et à notre statut social.
Mais c’est au sommet de la pyramide que la conception maslowienne de la volonté devient vraiment révolutionnaire. L’auto-actualisation, ou accomplissement de soi, représente le niveau où la volonté atteint sa forme la plus élevée. À ce stade, elle n’est plus motivée par des manques à combler mais par un désir d’expansion et de réalisation de notre plein potentiel. La volonté devient alors une force créatrice, poussant l’individu à développer ses talents, à poursuivre ses passions, et à contribuer au monde d’une manière unique et significative.
Maslow introduit également le concept de « métamotivation » pour décrire cette forme supérieure de volonté. Les personnes qui atteignent ce niveau sont motivées par des valeurs transcendantes comme la vérité, la beauté, la justice. Leur volonté n’est plus dirigée vers la satisfaction de besoins personnels mais vers la réalisation de quelque chose qui les dépasse.
Cette vision évolutive de la volonté a des implications pratiques importantes. Elle suggère que pour développer une volonté plus mature et efficace, nous devons d’abord nous assurer que nos besoins fondamentaux sont satisfaits. Il est difficile, voire impossible, de mobiliser sa volonté vers des objectifs élevés quand on est préoccupé par sa survie immédiate, ce qui paraît assez logique.
Maslow souligne également que le passage d’un niveau à l’autre n’est pas strictement linéaire. La volonté peut être simultanément engagée à différents niveaux, et des circonstances particulières peuvent nous ramener temporairement à des préoccupations plus basiques. Cette flexibilité de la volonté est une force adaptative essentielle.
Cette vision développementale et optimiste montre que la volonté n’est pas qu’un outil de survie ou de contrôle, mais une force de croissance qui peut nous mener vers les plus hauts niveaux d’accomplissement humain.
B.F. Skinner : le comportement plus que la volonté
Difficile d’écrire un article complet sans évoquer l’approche de B.F. Skinner (1904-1990) un psychologue américain célèbre pour ses travaux en psychologie comportementale, notamment dans le domaine du behaviorisme. Il a développé la théorie du conditionnement opérant, qui explore comment les comportements sont influencés par leurs conséquences, qu’il s’agisse de récompenses ou de punitions. Il croyait fermement que le comportement humain pouvait être expliqué et modifié par des principes scientifiques, rejetant les notions d’états mentaux comme causes principales.
Pourtant, B.F. Skinner, en tant que behavioriste radical, avait une approche particulière du concept de volonté. En fait, il tendait à rejeter ou à redéfinir significativement les concepts « mentalistes » comme la « volonté » ou le « libre arbitre ».
Pour Skinner, ce que nous appelons « volonté » peut être analysé comme un ensemble de comportements déterminés par leurs conséquences environnementales. Il considérait que les explications faisant appel à la volonté comme force mentale interne étaient peu scientifiques et masquaient les véritables causes comportementales.
Dans son ouvrage « Beyond Freedom and Dignity » (1971), Skinner critique explicitement l’idée traditionnelle de représenter la volonté comme une faculté mentale autonome. Il propose plutôt d’examiner comment les comportements qui semblent manifester de la « volonté » sont en réalité façonnés par :
- Les contingences de renforcement passées
- Les conséquences environnementales actuelles
- Les schémas de conditionnement établis
Pour nos lecteurs avides de savoir, certaines de ces thématiques ne sont pas très éloignées de la pensée de certains philosophes tels que Spinoza ou Foucault, comme cela a été expliqué dans notre article sur le sujet de la philosophie de la volonté.
Pour Skinner, l’autorégulation et le contrôle de soi (souvent associés à la volonté) peuvent être expliqués en termes de comportements appris et de contingences environnementales, sans avoir besoin de faire appel à une faculté mentale mystérieuse appelée « volonté ».
Sa perspective suggère que pour développer ce que nous appelons communément la »force de volonté », il faut se concentrer sur la modification des conditions environnementales et des contingences de renforcement plutôt que sur une supposée force intérieure.
Les critiques de l’approche behavioriste de Skinner soulignent son réductionnisme, ignorant les processus cognitifs et émotionnels complexes démontrés par les neurosciences. Il néglige également l’expérience subjective de la volonté, des variables internes cruciales comme les croyances, et les interactions biologiques et sociales dans le développement de la volonté. Enfin, son approche, jugée éthiquement problématique, montre des limites face à des problèmes complexes comme les addictions. Toutefois, son insistance sur l’environnement et la méthode empirique restent pertinents
Albert Bandura, le père de l’auto-efficacité
Albert Bandura (1925-2021) était un éminent psychologue canadien-américain qui a profondément influencé la psychologie du XXe siècle durant sa carrière de plus de 50 ans à l’Université Stanford. Sa théorie de l’apprentissage social, développée à travers sa fameuse expérience de la « poupée Bobo » en 1961, a démontré que les enfants apprennent par observation et imitation des comportements adultes. Cette découverte a remis en question les théories behavioristes dominantes de l’époque comme celle de B.F. Skinner, qui se concentraient uniquement sur l’apprentissage par expérience directe.
Le concept d’auto-efficacité, sa contribution la plus marquante, explore comment nos croyances en nos capacités influencent nos actions. Cette théorie explique que notre niveau de confiance détermine nos choix d’activités, l’intensité de nos efforts, et notre persévérance face aux obstacles. Par exemple, un étudiant avec une forte auto-efficacité en mathématiques sera plus enclin à choisir des cours avancés et à persister face aux problèmes complexes.
La théorie socio-cognitive de Bandura introduit le concept d’ « agentivité » humaine, établissant une interaction triangulaire entre facteurs personnels, comportements et environnement social. Cette approche souligne que nos pensées et émotions interagissent constamment avec notre environnement pour façonner nos actions.
Dans la pratique clinique, cette théorie a révolutionné le traitement des phobies par le modelage progressif, où les patients observent d’autres personnes interagir sans crainte avec l’objet de leur peur.
L’application pratique des théories de Bandura pour le développement personnel peut se structurer en plusieurs dimensions concrètes :
- L’auto-efficacité comme levier de progrès : Commencez par identifier un domaine spécifique où vous souhaitez progresser. Au lieu de penser « je veux être meilleur », fixez-vous des objectifs précis comme « je veux être capable de tenir une conversation de 5 minutes en anglais ». Cette spécificité permet de mesurer vos progrès et renforce votre sentiment d’auto-efficacité à chaque petite victoire.
- L’apprentissage vicariant en action : Identifiez des modèles qui excellent dans le domaine visé. Par exemple, si vous souhaitez améliorer vos compétences en présentation, observez attentivement les conférenciers que vous admirez. Analysez leurs techniques, leur langage corporel, leur façon de structurer leurs idées. Bandura nous montre que l’observation active est déjà une forme d’apprentissage puissante.
- La pratique progressive : Décomposez vos objectifs en étapes graduelles. Si votre but est d’améliorer votre condition physique, commencez par des séances courtes et augmentez progressivement l’intensité. Cette approche graduelle crée des « expériences de maîtrise » successives qui renforcent votre confiance et votre motivation.
- Le dialogue interne constructif : Surveillez votre discours intérieur. Remplacez les pensées limitantes (« je n’y arriverai jamais ») par des affirmations orientées vers le processus (« je progresse chaque jour »). Ce recadrage mental influence directement votre persévérance face aux obstacles.
- L’environnement social porteur : Entourez-vous de personnes qui soutiennent vos objectifs d’amélioration. Créez un environnement qui facilite vos nouveaux comportements. Par exemple, si vous voulez développer une habitude de lecture, aménagez un coin lecture agréable et rejoignez un club de lecture.
Walter Mischel, l’homme au marshmallow
Walter Mischel (1930-2018) est un psychologue américain d’origine autrichienne qui a marqué la psychologie par ses recherches sur le contrôle de soi et particulièrement par sa célèbre « expérience du marshmallow », menée à l’université de Stanford dans les années 1960 et 1970. Cette étude est devenue un point de référence fondamental pour comprendre le développement du contrôle volontaire chez les enfants.
L’expérience consistait à placer un enfant dans une pièce avec un marshmallow, en lui proposant un choix : soit manger immédiatement le marshmallow, soit attendre environ 15 minutes pour en obtenir un second. L’expérimentateur quittait alors la pièce, laissant l’enfant seul face à cette tentation. Cette situation apparemment simple révélait des mécanismes complexes de l’autorégulation.
Les observations de Mischel ont mis en évidence différentes stratégies utilisées par les enfants pour résister à la tentation :
- Certains détournaient leur attention physiquement du marshmallow
- D’autres se distrayaient en chantant ou en jouant
- Quelques-uns transformaient mentalement l’objet de désir, imaginant par exemple le marshmallow comme un nuage
- D’autres encore se répétaient l’objectif à atteindre
L’aspect le plus remarquable de cette recherche réside dans son suivi longitudinal, c’est-à-dire sur la durée. Mischel et ses collègues ont suivi ces enfants pendant plusieurs décennies, révélant des corrélations significatives entre la capacité à différer la gratification dans l’enfance et divers indicateurs de réussite ultérieure : résultats scolaires, réussite professionnelle, santé physique et mentale, et même stabilité des relations sociales.
Ces découvertes ont conduit à une théorie plus large du contrôle de soi, où Mischel distingue deux systèmes :
- Un système « chaud », émotionnel et impulsif, qui réagit immédiatement aux stimuli
- Un système « froid », cognitif et réflexif, capable de réguler les impulsions
Mischel souligne que le contrôle de soi n’est pas simplement une question de force de volonté brute, mais plutôt une compétence qui peut être développée à travers l’apprentissage de stratégies spécifiques. Cette perspective a des implications importantes pour l’éducation et le développement personnel.
Son travail a également remis en question la vision traditionnelle de la personnalité comme un ensemble de traits fixes. Il a montré que le comportement varie considérablement selon les situations et que la capacité d’autorégulation peut être améliorée par l’apprentissage de stratégies cognitives appropriées.
Les implications de ces recherches sont vastes, touchant à l’éducation, la santé mentale, et même la politique sociale. Elles suggèrent l’importance d’enseigner tôt des stratégies d’autorégulation et de créer des environnements qui soutiennent le développement du contrôle de soi.
Roy Baumeister et l’épuisement de l’ego
Le psychologue social américain Roy F. Baumeister (né en 1953) s’est fait connaître par sa théorie de l’« ego depletion » (ou épuisement de l’ego), une conception selon laquelle la volonté et l’autocontrôle fonctionnent comme un « muscle » susceptible de se fatiguer lorsqu’ils sont sollicités de manière répétée ou intense.
Pour appuyer cette thèse, Baumeister et ses collaborateurs ont mené de nombreuses expériences en laboratoire, dont la plus célèbre consiste à demander à des participants de résister à la tentation de biscuits au chocolat fraîchement cuits pour se contenter de radis, puis à leur faire effectuer une tâche de persévérance (comme résoudre des puzzles complexes). Les résultats ont souvent montré que les personnes ayant dû exercer leur maîtrise de soi pour ne pas toucher aux biscuits abandonnaient plus rapidement les tâches ultérieures, suggérant que leur « volonté » s’était épuisée.
Au-delà de cette expérience fondatrice, l’ensemble des travaux empiriques de Baumeister met en évidence l’importance de la gestion des ressources mentales. Selon lui, chaque individu dispose d’un « réservoir » limité de volonté et d’autocontrôle, qu’il peut dépenser au fil de la journée selon les exigences et les contraintes rencontrées (régime, travail intellectuel soutenu, situations de stress, etc.). Lorsqu’on puise trop intensément dans ce réservoir, on risque de flancher dans d’autres domaines où la maîtrise de soi est aussi requise.
Cette vision de la volonté, envisagée comme un phénomène à la fois psychologique et biologique, a influencé de manière notable la recherche en psychologie sociale et en neurosciences. Elle a également nourri une réflexion sur la manière de préserver ou de restaurer ses capacités de maîtrise de soi : certaines études suggèrent qu’un apport suffisant en glucose ou des pauses régulières peuvent « recharger » la volonté, au même titre qu’un muscle qui a besoin de repos et de nutriments.
Toutefois, la théorie de l’ego depletion fait aujourd’hui l’objet de débats et de tentatives de réplication qui n’ont pas toujours abouti aux mêmes conclusions que les expériences initiales. Malgré ces controverses, Baumeister reste une figure majeure dans la psychologie de l’autocontrôle, et son travail demeure une référence incontournable pour comprendre comment la volonté peut s’épuiser et comment elle peut également être renforcée grâce à des stratégies adaptées.
Rollo May : le lien entre volonté et conscience
Rollo May (1909-1994), psychologue et philosophe existentiel américain, a profondément exploré la notion de volonté dans son ouvrage majeur Love and Will (1969). Influencé par l’existentialisme européen (notamment Sartre et Kierkegaard), il s’est attaché à relier les principes de la psychologie clinique aux questionnements philosophiques sur la liberté, la responsabilité et la quête de sens. Pour May, la volonté n’est pas une simple faculté fonctionnelle, mais un mouvement intérieur qui nous pousse à nous engager de manière consciente et intentionnelle dans la vie. Elle est indissociable de la conscience, car elle implique la capacité de se représenter des fins et de mobiliser son énergie psychique pour atteindre ces objectifs.
Selon May, la société moderne traversait — et traverse toujours — une « crise de volonté ». Face à l’accélération du temps, à l’individualisme exacerbé et à la perte de repères moraux ou spirituels, de nombreuses personnes peinent à donner une direction cohérente à leur existence. Ce « vide de volonté » s’exprime, entre autres, dans le sentiment de passivité ou d’impuissance face aux enjeux du monde contemporain, et se manifeste fréquemment par des pathologies comme l’angoisse, la dépression ou la perte de sens. En tant que psychologue existentielle, May considérait qu’une partie du travail thérapeutique consistait à aider les individus à renouer avec leur force de vouloir, c’est-à-dire à redevenir acteurs de leur destinée plutôt que simples témoins de leur vie.
Harry Frankfurt : faut-il désirer vraiment ce que l’on désire ?
Le philosophe américain Harry Frankfurt (1929-2023) a considérablement enrichi la compréhension de la volonté grâce à son concept de « volitions de second ordre » (second-order volitions), c’est-à-dire nos désirs portant sur nos propres désirs. Pour ces contributions, nous l’intégrons à cet article sur la psychologie plutôt que dans la partie philosophique précédemment publiée.
En effet, dans son article de 1971, Freedom of the Will and the Concept of a Person, Frankfurt soutient que cette capacité à réfléchir à ses désirs de premier ordre et à choisir ceux que l’on souhaite réellement concrétiser constitue un élément central de ce qu’il appelle le « libre arbitre ».
Selon Frankfurt, une personne peut désirer quelque chose (désir de premier ordre) tout en nourrissant simultanément un désir de second ordre, qui consiste à vouloir (ou à ne pas vouloir) que ce premier désir devienne effectif. Par exemple, quelqu’un peut ressentir une pulsion pour une action nuisible, tout en éprouvant le désir qu’elle ne se transforme pas en action réelle. C’est dans l’alignement ou la contradiction entre ces deux niveaux de désir que se joue, d’après lui, la véritable liberté de la volonté.
Cette approche a influencé en profondeur les débats concernant la responsabilité morale et la nature du libre arbitre. En effet, pour Frankfurt, la personne qui parvient à harmoniser ses volitions de second ordre avec ses désirs de premier ordre exerce pleinement sa volonté. À l’inverse, lorsqu’un individu ne parvient pas à guider ou à approuver ses désirs initiaux par une réflexion plus élevée, il s’expose à un conflit intérieur et à une forme d’aliénation.
L’état d’esprit selon Carol Dweck
Carol Dweck est une psychologue sociale américaine née en 1946. Les travaux de Carol Dweck sur les mindsets (états d’esprit) ont profondément influencé notre compréhension de la motivation, de l’apprentissage et de la volonté. Sa théorie distingue deux types fondamentaux d’états d’esprit : le « fixed mindset » (état d’esprit fixe) et le « growth mindset » (état d’esprit de croissance).
Dans le fixed mindset, les individus croient que leurs capacités sont des traits fixes, innés et largement immuables. Cette croyance a des conséquences importantes sur leur comportement :
- Ils évitent les défis par peur d’échouer
- Ils voient l’effort comme un signe de manque de talent
- Ils abandonnent facilement face aux obstacles
- Ils perçoivent les critiques comme des jugements sur leur valeur personnelle
- Ils se sentent menacés par le succès des autres
À l’inverse, dans le growth mindset, les personnes considèrent que leurs capacités peuvent être développées par l’effort, l’apprentissage et la persévérance. Cette croyance engendre des comportements très différents :
- Ils recherchent les défis comme opportunités de croissance
- Ils voient l’effort comme le chemin vers la maîtrise
- Ils persistent face aux obstacles
- Ils considèrent les critiques comme des feedbacks utiles
- Ils s’inspirent du succès des autres
L’impact sur la volonté est particulièrement significatif. Les personnes ayant un growth mindset développent naturellement une volonté plus forte car elles :
- Croient en l’utilité de leurs efforts
- Maintiennent leur motivation face aux difficultés
- Développent des stratégies d’apprentissage plus efficaces
- Conservent un sentiment d’auto-efficacité même après des échecs
Dweck a montré que ces mindsets se développent tôt dans l’enfance, influencés par le type de feedback reçu. Par exemple, féliciter un enfant pour son intelligence (« tu es très intelligent ») tend à promouvoir un fixed mindset, tandis que féliciter l’effort et les stratégies (« tu as vraiment travaillé dur ») encourage un growth mindset.
Ses recherches ont également démontré que les mindsets peuvent être modifiés par des interventions appropriées. Cette découverte a des implications importantes pour l’éducation et le développement personnel. Elle suggère que la volonté n’est pas simplement une qualité innée, mais peut être renforcée en changeant nos croyances fondamentales sur la nature de nos capacités.
Dans le contexte professionnel, les travaux de Dweck ont influencé les pratiques de management et de développement des talents. Les organisations qui promeuvent un growth mindset tendent à avoir des employés plus engagés et plus résilients face aux défis.
Dweck souligne également l’importance du contexte social et culturel dans le développement des mindsets. Les environnements qui valorisent l’apprentissage et l’effort plutôt que les performances brutes favorisent naturellement le développement d’un growth mindset.
Plus récemment, ses travaux ont été enrichis par les neurosciences, montrant comment différents mindsets sont associés à des patterns distincts d’activité cérébrale, notamment dans les régions impliquées dans l’attention et le traitement des erreurs.
Cette théorie offre une perspective puissante sur le développement de la volonté : plutôt que de voir la volonté comme une ressource fixe à gérer, elle suggère qu’elle peut être cultivée en modifiant nos croyances fondamentales sur la nature de nos capacités et le rôle de l’effort.
Julius Kuhl et la théorie du contrôle de l’action
Le psychologue et chercheur allemand Julius Kuhl (né en 1947) a développé la théorie du contrôle de l’action (Action Control Theory) qui représente une avancée majeure dans la compréhension des mécanismes de la volonté et de la mise en œuvre des intentions. Sa théorie propose une explication sophistiquée des différences individuelles dans la capacité à transformer les intentions en actions.
Le concept central de sa théorie est la distinction entre deux orientations fondamentales : l’orientation vers l’action (action orientation) et l’orientation vers l’état (state orientation). Ces orientations représentent des dispositions relativement stables qui influencent la manière dont les individus gèrent leurs intentions et leurs affects.
L’orientation vers l’action caractérise les personnes qui peuvent facilement initier et maintenir des actions orientées vers un but. Ces individus se distinguent par leur capacité à :
- Mobiliser rapidement leurs ressources pour agir
- Maintenir leur focus sur l’objectif malgré les distractions
- Se désengager des pensées improductives
- Réguler efficacement leurs émotions pour soutenir l’action
- S’adapter flexiblement aux changements de situation
À l’inverse, l’orientation vers l’état décrit les personnes qui ont tendance à :
- Rester fixées sur leurs états internes (pensées, émotions)
- Ruminer sur les expériences passées ou les échecs
- Hésiter longuement avant d’agir
- Avoir du mal à réguler leurs affects négatifs
- Être plus facilement paralysées par le stress ou la pression
Kuhl identifie plusieurs composantes du contrôle de l’action :
- Le contrôle attentionnel : la capacité à maintenir l’attention sur l’action en cours
- Le contrôle motivationnel : la capacité à raviver la motivation quand elle faiblit
- Le contrôle émotionnel : la régulation des affects qui peuvent entraver l’action
- Le contrôle environnemental : la modification de l’environnement pour faciliter l’action
Sa théorie s’intéresse également aux mécanismes qui permettent de passer de l’intention à l’action, introduisant le concept de « mémoire des intentions » (intention memory). Cette mémoire maintient actives les intentions jusqu’à ce que les conditions appropriées pour l’action soient présentes.
Kuhl souligne l’importance du système de « self » (le soi) dans la régulation de l’action. Il propose que les personnes orientées vers l’action ont un meilleur accès à leur système de self, ce qui leur permet de mieux :
- Intégrer leurs expériences personnelles
- Aligner leurs actions avec leurs valeurs profondes
- Générer des solutions créatives aux problèmes
- Maintenir un sentiment de cohérence personnelle
Les implications pratiques de cette théorie sont considérables, notamment dans les domaines de l’éducation, du coaching et de la psychothérapie. Elle suggère des interventions spécifiques pour aider les personnes orientées vers l’état à développer de meilleures stratégies de contrôle de l’action.
Cette théorie a également influencé la recherche sur la procrastination, la gestion du stress, et la réalisation des objectifs. Elle offre un cadre conceptuel pour comprendre pourquoi certaines personnes excellent dans la mise en œuvre de leurs intentions tandis que d’autres peinent à passer à l’action malgré des intentions similaires.
Les travaux de Kuhl continuent d’inspirer la recherche contemporaine sur la volonté et l’autorégulation, notamment dans la compréhension des mécanismes neuropsychologiques sous-jacents au contrôle de l’action et dans le développement d’interventions plus efficaces pour améliorer la capacité d’action des individus.
Gabriel Oettingen, la princesse du Woop
Gabrielle Oettingen est une psychologue (et princesse) allemande née en 1953. Les travaux de Gabriele Oettingen représentent une avancée significative dans la compréhension pratique de la volonté et la réalisation des objectifs. Elle a développé la méthode WOOP (Wish, Outcome, Obstacle, Plan) en réponse aux limites de la simple pensée positive, souvent présentée comme suffisante pour atteindre ses objectifs, et qui n’est pas sans rappeler la matrice SWOT.
Sa recherche a d’abord démontré que la pensée positive seule peut paradoxalement réduire la motivation et l’énergie nécessaires à l’action. En imaginant le succès comme déjà acquis, l’esprit peut se satisfaire de cette réussite imaginaire et relâcher l’effort nécessaire à sa réalisation concrète.
La méthode WOOP intègre quatre étapes essentielles :
- « Wish » (Souhait) : Il s’agit d’identifier un désir ou un objectif significatif et réalisable. Cette étape requiert une réflexion approfondie sur ce qui est vraiment important pour soi, en distinguant les souhaits superficiels des aspirations profondes.
- « Outcome » (Résultat) : Cette étape consiste à visualiser en détail le meilleur résultat possible. L’accent est mis sur les sensations et émotions positives associées à la réalisation de l’objectif, créant ainsi une motivation intrinsèque forte.
- « Obstacle » (Obstacle) : C’est l’élément clé qui distingue WOOP des approches classiques de pensée positive. Il s’agit d’identifier les barrières internes (comme la procrastination, le doute de soi) qui pourraient entraver la réalisation de l’objectif. Cette anticipation réaliste des difficultés prépare mentalement à les affronter.
- « Plan » (Plan) : La dernière étape consiste à élaborer des stratégies spécifiques pour surmonter les obstacles identifiés, souvent sous la forme « Si [obstacle], alors [action] ». Ces plans d’action conditionnels créent des automatismes mentaux qui s’activent face aux difficultés.
Un aspect particulièrement intéressant de ses travaux est la mise en évidence des mécanismes psychologiques sous-jacents. WOOP fonctionne en :
- Renforçant le lien mental entre les opportunités présentes et les actions nécessaires
- Activant des processus d’autorégulation non conscients
- Augmentant l’engagement énergétique envers les objectifs réalisables
- Facilitant le désengagement des objectifs irréalistes
La méthode présente plusieurs avantages pratiques :
- Elle est simple à apprendre et à appliquer
- Elle ne nécessite que quelques minutes par jour
- Elle peut être adaptée à différents contextes culturels
- Elle combine les bénéfices de l’optimisme et du réalisme
Oettingen souligne que l’efficacité de WOOP repose sur son application systématique et complète. Sauter une étape ou modifier l’ordre peut réduire significativement son impact. Elle insiste également sur l’importance de la spécificité dans chaque étape, notamment dans l’identification des obstacles et la formulation des plans d’action.
Cette approche représente une évolution importante dans la psychologie de la motivation, en proposant une méthode qui dépasse les limites de la simple pensée positive tout en restant accessible et pratique. Elle offre un cadre structuré pour transformer la volonté en actions concrètes et efficaces.
Angela Duckworth et la niaque
Angela Duckworth est une psychologue américaine née en 1970. Elle a apporté une contribution majeure à la psychologie avec son concept de « grit », (en français « la niaque ») qu’elle a développé à travers des recherches approfondies sur la réussite et la performance. Le « grit » représente une combinaison unique de passion et de persévérance orientée vers des objectifs à long terme.
Sa recherche est née d’une observation fondamentale : le talent naturel et l’intelligence ne suffisent pas à expliquer pourquoi certaines personnes réussissent mieux que d’autres. À travers de nombreuses études dans divers contextes (écoles, entreprises, académie militaire de West Point), elle a démontré que le « grit » est souvent un meilleur prédicteur de succès que le QI ou les autres mesures de talent.
Le « grit » selon Duckworth se caractérise par plusieurs composantes essentielles :
- La constance d’intérêt : il s’agit de maintenir le cap sur les mêmes objectifs sur une longue période, plutôt que de changer fréquemment de direction. Cette stabilité permet d’accumuler expertise et expérience dans un domaine spécifique.
- La persévérance dans l’effort : c’est la capacité à maintenir un effort soutenu face aux obstacles, aux échecs et aux plateaux de progression. Cette qualité implique de continuer à travailler dur même en l’absence de retours positifs immédiats.
- Une orientation vers le long terme : le « grit » se distingue de la simple motivation par sa perspective temporelle étendue. Les personnes qui font preuve de « grit » voient leurs efforts actuels comme partie intégrante d’un projet de vie plus large.
- La résilience face aux échecs : Duckworth souligne que les personnes qui manifestent un haut niveau de « grit » ne sont pas nécessairement plus talentueuses, mais elles persistent plus longtemps face aux revers et considèrent les échecs comme des opportunités d’apprentissage.
Ses recherches ont également mis en lumière comment le « grit » peut être développé. Contrairement à certaines capacités innées, le « grit » peut être cultivé à travers :
- Le développement d’un état d’esprit de croissance (growth mindset)
- La pratique délibérée et systématique
- La connexion de ses efforts à un objectif plus grand que soi
- L’identification de ses passions profondes
Les implications de ces travaux sont particulièrement importantes pour l’éducation. Duckworth suggère que les systèmes éducatifs devraient mettre davantage l’accent sur le développement de la persévérance et de la résilience, plutôt que de se concentrer uniquement sur les performances académiques.
Ses recherches ont également des applications dans le monde professionnel, où elles ont influencé les pratiques de recrutement et de développement des talents. De nombreuses organisations s’intéressent désormais à évaluer et à cultiver le « grit » chez leurs employés.
Cependant, Duckworth elle-même souligne les limites de son concept. Le « grit » n’est pas une panacée et doit être équilibré avec d’autres qualités comme la flexibilité, la créativité et l’intelligence émotionnelle. De plus, le contexte social et les opportunités structurelles jouent un rôle crucial dans la possibilité de développer et d’exercer le « grit ».
Ses travaux continuent d’influencer la recherche en psychologie positive et en éducation, offrant une perspective nouvelle sur la nature de la réussite et les moyens de la favoriser. Le concept de « grit » a contribué à une meilleure compréhension de l’importance des qualités non cognitives dans le développement humain.
Pour finir
Les psychologues contemporains continuent d’explorer la volonté sous différents angles : son développement chez l’enfant, ses mécanismes neurologiques, son rôle dans l’addiction et sa relation avec les émotions. Les recherches actuelles tendent à considérer la volonté non pas comme une faculté unitaire, mais comme un ensemble complexe de processus cognitifs et émotionnels.
Nous laisserons à nos confrères le soin d’aborder la volonté sous l’angle des neurosciences dans un prochain article.