Les notions de passivité ou la procrastination sont des sujets majeurs dans la société actuelle. On y apporte des solutions variées, parfois via une aide psychologique ou un coaching, parfois avec une aide médicamenteuse telle que la Ritaline pour les personnes diagnostiquées TDAH (Trouble du déficit de l’attention), un trouble dont la définition trop floue pose le risque de nombreux diagnostics incorrects. En réalité, ces méthodes visent à permettre à la personne de se mettre à agir, ou de gérer son action (ses tâches) de façon efficace. Mais ce qui précède l’action, c’est la volonté.

Je me mets à agir parce que je le décide, et je continue même lorsque c’est difficile, contrairement à l’idée (humoristique) qui explique qu’on résiste à tout sauf à la tentation. C’est la volonté qui me pousse à continuer mon oeuvre, c’est la volonté qui me permet d’aller au bout de ma liste de tâches et ainsi de suite.

Le sujet est donc fondamentalement celui de la volonté et non pas celui de l’action. Exister, c’est d’abord agir. Mais pour agir, il faut le vouloir. Donc avant de se poser la question de l’action et de la gestion de tâches, il faut se poser la question de ce qu’est la volonté.

Pour le comprendre, nous avons appelé à la rescousse les grands philosophes et penseurs, et puisé dans les traditions non occidentales pour comprendre ce dont il retourne. Mais avant cela, commençons par une définition du concept de volontés et des concepts liés.

La volonté, qu’est-ce exactement ?

La volonté peut être définie comme la faculté consciente de se fixer des buts et de diriger ses actions pour les atteindre.

Elle se distingue de la simple envie ou du désir, car elle implique un engagement actif qui mobilise les ressources intérieures afin de surmonter d’éventuels obstacles. Si j’ai envie de jouer au tennis ou de manger un éclair au chocolat, cela ne fait pas appel à ma volonté, ou du moins pas directement parce que l’on pourrait argumenter qu’il existe des « micro-moments » de volonté dans le fait d’aller acheter un objet dont j’ai envie : m’habiller, me rendre dans le magasin, procéder au paiement, etc.

Au cœur de la volonté, on trouve la détermination et la persévérance: ce sont des facultés qui poussent à maintenir un cap malgré la fatigue, les difficultés, le doute ou les tentations contraires.

Mais la volonté ne se limite pas à des actions désagréables ou pénibles.

Bien qu’elle soit plus évidente à identifier lorsque l’on doit lutter contre la difficulté ou la résistance, elle s’exerce également dans la régularité et la constance que l’on s’impose pour atteindre un objectif plus lointain.

Le rôle de la volonté ne disparaît pas avec l’habitude

Quand on adopte une habitude positive, comme faire du sport chaque matin ou pratiquer un instrument de musique régulièrement, il y a d’abord un effort volontaire important pour mettre en place cette habitude (ou « routine »). Au fil du temps, l’action devient plus automatique et demande moins de délibération consciente, mais cela ne signifie pas l’absence de volonté. Dans ce cas, la volonté a travaillé en amont et continue de soutenir l’habitude dans une forme plus discrète, en maintenant la cohérence entre nos valeurs, nos objectifs et nos choix quotidiens.

L’habitude, une fois bien ancrée, soulage donc la volonté en rendant certaines actions moins coûteuses sur le plan mental. Mais elle ne supprime pas la volonté: celle-ci demeure présente en toile de fond et peut être rappelée à l’ordre lorsque la routine est menacée ou que les circonstances changent.

Si un élément extérieur perturbe la mise en œuvre de l’habitude, la volonté est alors sollicitée à nouveau pour ajuster l’action ou la maintenir malgré les imprévus.

Qu’en est-il des actions qui nous procurent du plaisir ?

Le fait de manger un éclair au chocolat en regardant des séries sur son canapé peut sembler relever d’une impulsion purement spontanée, qui ne fait pas appel à la volonté. On perçoit cela comme un moment de simple plaisir ou de détente, où l’on n’a ni résistance à surmonter ni effort particulier à fournir.

Pourtant, toute action consciente implique un degré de volonté, même si, dans ce type de situation, celle-ci se fait discrète ou minimale. En effet, même si nous n’associons généralement la volonté qu’à la persévérance et à la détermination dans l’effort, le concept de volonté renvoie en réalité plus largement à la capacité de choix et de décision.

Si vous avez vraiment décidé de profiter d’un instant de pause pour savourer un éclair au chocolat, vous avez exercé votre volonté dans la mesure où vous avez choisi consciemment cette option plutôt qu’une autre moins agréable, ou plutôt que de ne rien manger. Certes, cela peut être perçu comme un choix très agréable et peu coûteux mentalement, mais le simple fait de se dire « voilà ce dont j’ai envie maintenant» traduit l’adhésion de la conscience à l’action.

En revanche, si le geste était strictement mécanique, dicté par l’envie immédiate de façon quasi-animale et sans aucune forme de délibération, la volonté serait réduite à sa plus simple expression, voire à un automatisme proche du réflexe. C’est le cas de certaines activités du corps humain comme la respiration ou les battements cardiaques, qui sont involontaires. Mais ces activités sont gérés par une partie très basique et la plus ancienne de notre système nerveux central.

En revanche, chez un pianiste qui s’est exercé des centaines d’heures, le fait de jouer une musique de façon qui peut paraître automatique fait en réalité appel à la volonté. Volonté d’ouvrir le piano, de s’assoir, de pratiquer ce morceau précis, et volonté de déplacer les doigts sur les touches appropriées au bon moment. L’automatisme apparent n’est que le résultat des heures de pratique que la volonté a mise en œuvre, et si la volonté n’imposait pas au pianiste de jouer encore il perdrait bien vite ses capacités durement acquises.

Où se trouve la volonté lorsque l’on cède à une envie irrépressible ?

Imaginons qu’il nous arrive d’avoir une envie irrésistible d’éclair au chocolat. Parfois on parvient à y résister, parfois non. Certains d’entre nous, lorsqu’il n’y arrivent pas, sont capables de manger plusieurs éclairs au chocolat. Ce n’est pas que de l’impulsion : ils forment l’idée dans leur tête, y résistent puis ils cèdent à la tentation. La personne part de chez elle, se rend à la pâtisserie et achète plusieurs éclairs. A chacune de ces étapes elle se dit intérieurement que ce n’est pas bien, qu’elle doit perdre du poids. Pourtant elle n’arrive pas à résister à cette envie, et elle rapporte les éclairs chez elle. Même à ce moment-là elle est susceptible de se dire « bon tu n’aurais pas dû acheter ces desserts; mais au moins n’en mange qu’un seul » et pourtant trente minutes elle peut avoir tout mangé, elle sera même un peu écoeurée et se sentira coupable. Ou est la volonté là-dedans? Elle aurait dû au contraire avoir la volonté de résister.

Dans cette situation, il y a une tension très nette entre deux tendances intérieures : d’un côté, le désir de manger des éclairs au chocolat et, de l’autre, la résolution de perdre du poids ou de maintenir une alimentation équilibrée. Le fait de se rendre compte « qu’il ne faudrait pas » mais de le faire malgré tout ne signifie pas l’absence de volonté, mais plutôt son affaiblissement ou son incapacité à prendre le dessus sur l’impulsion du moment. La volonté ne disparaît pas ; elle tente de se manifester (« je sais que je ne devrais pas »), mais elle est surpassée par l’envie forte et le plaisir anticipé.

La faiblesse de la volonté

La psychologie, depuis l’Antiquité, décrit ce conflit comme un cas typique de « faiblesse de la volonté » (qu’on appelle akrasia dans la philosophie grecque). L’akrasia désigne la situation où l’on agit à l’encontre de ce que l’on sait être la meilleure chose à faire. Ainsi, on peut dire que la volonté est présente, mais impuissante à gérer le conflit : elle se manifeste à travers la conscience des conséquences (prise de poids, culpabilité, etc.), mais elle n’est pas assez robuste, à ce moment-là, pour bloquer l’action ou orienter le comportement.

Volonté contre désir : qui gagne ?

Si l’on entre un peu plus dans le détail, on peut considérer que plusieurs « forces » s’affrontent :
• D’un côté, il y a la volonté rationnelle, qui se fonde sur les objectifs à long terme (ex. : perdre du poids, adopter une meilleure hygiène de vie, faire du sport, ne plus acheter de paires de chaussures à la mode, arrêter de boire ou de fumer) et qui vous dit dans ce cas de ne pas acheter ces éclairs ou, tout du moins, de ne pas les manger tous.
• De l’autre, il y a le désir immédiat et l’anticipation du plaisir, parfois teintés d’émotions fortes (stress, ennui, besoin de compensation), qui génèrent un élan très puissant, au point de balayer, dans l’instant, la détermination à long terme.

Capitulation par manque de structure

Lorsque vous capitulez et que vous achetez plusieurs éclairs, puis que vous les mangez malgré la culpabilité qui s’installe, cela ne veut pas dire que la volonté s’est évanouie ; mais plutôt, qu’elle n’a pas su canaliser l’énergie du désir ou instaurer la stratégie adéquate pour y résister. Certains parleraient de « manque de self-control » ou de « contrôle de soi affaibli ». On pourrait dire que dans cette séquence d’actions, la volonté n’est pas assez structurée ou préparée pour faire face à un désir si pressant : vous conscientisez le fait de « ne pas vouloir » céder, mais sans parvenir à fournir l’effort ou sans pouvoir mettre en place la tactique qui permettrait de freiner l’impulsion à chaque étape (sortir de chez soi, entrer dans la pâtisserie, acheter cinq éclairs, les rapporter et finalement les manger goulûment).

Si on observe la scène à travers le prisme de la volonté, on constate qu’elle est présente, mais qu’elle ne parvient pas à se transformer en décision ferme et en actes cohérents avec l’objectif de ne pas manger ces gâteaux. Elle réapparaît régulièrement – sous forme de doutes, de regrets, de remarques intérieures (« je ne devrais pas ») – mais elle reste trop faible par rapport au plaisir imaginé, à la pulsion ou à l’habitude de trouver du réconfort dans la nourriture.

La véritable question n’est donc pas « où est la volonté ? », mais « pourquoi ma volonté n’arrive-t-elle pas à triompher du désir ? » et « comment puis-je la rendre plus efficace ? ». Il ne s’agit pas d’une volonté inexistante, mais plutôt d’une volonté fragile ou à court de ressources dans un moment de tentation.

Renforcer la volonté, c’est possible

L’apprentissage de stratégies d’autorégulation, la mise à distance des situations tentatrices, ou la recherche de mécanismes de soutien (par exemple ne pas avoir d’éclairs à portée de main, remplacer l’envie par une autre activité plus saine ou un plaisir différent) peuvent aider à renforcer le pouvoir de la volonté. L’idée est de trouver comment lui donner plus d’« alliés » pour résister au désir ponctuel, ou au moins le canaliser de façon modérée plutôt que de s’y abandonner complètement. Ces attitudes permettent d’une part de renforcer la volonté et l’auto-discipline, d’autre part de réduire la tentation.

La volonté peut se confondre avec l’adhésion sans résistance à un désir

La volonté n’est donc pas toujours synonyme de lutte contre soi ou de contrainte laborieuse. Dans des moments de pur plaisir, elle se confond souvent avec l’adhésion à un désir auquel nous consentons sans résistance. On fait le choix de s’octroyer une pause gourmande (sans excès !) ou de jouer un concerto que nous aimons particulièrement et, même si la contrainte est quasi inexistante, le libre arbitre continue d’agir en filigrane.

Par ailleurs, si vous en veniez à remettre en question cet écart gourmand, par exemple en pensant à vos bonnes résolutions alimentaires (et sans être dans l’excès illustré ci-dessus) alors vous ressentiriez plus nettement l’œuvre de la volonté ou son absence, dans le fait de manger ou non l’éclair, car vous seriez face à un mini-conflit intérieur. C’est la raison pour laquelle on se sent coupable après avoir consommé l’éclair, alors qu’on se sent bien après avoir résisté à l’éclair. Le conflit intérieur est à la fois déstabilisant et négatif, voir toxique pour l’être humain qui a besoin d’un alignement intérieur parfait.

Bref, si l’on prend la peine d’observer la dynamique interne, on s’aperçoit qu’une part de volonté subsiste dans la plupart des choix conscients, qu’ils réclament un effort manifeste ou simplement le consentement à une impulsion plaisante. Cela ne serait pas le cas si on ne faisait pas de choix, donc dans le cas d’une activité purement automatique comme la respiration.

Ainsi, on peut considérer que la volonté est une force consciente qui sous-tend nos choix et nos actes, qu’ils soient difficiles, routiniers ou agréables. Elle est liée à notre capacité à réfléchir, décider et agir conformément à ce que nous estimons juste ou important pour nous, au-delà des simples impulsions ou penchants du moment. C’est pour cela qu’elle joue un rôle fondamental dans la gestion de tâches.

La Volonté dans la Philosophie : Libre Arbitre, Autonomie et Responsabilité Morale

Dans la tradition philosophique occidentale, la volonté a été intimement liée aux questions du libre arbitre, de l’autonomie et de la responsabilité morale. Les philosophes ont longuement débattu de la nature et du statut de la volonté, avec des positions allant du libertarianisme au compatibilisme en passant par le déterminisme.

Les philosophes libertariens, comme Kant, ont défendu l’idée d’une volonté libre, capable de s’autodéterminer en dehors des chaînes de la causalité naturelle. Selon eux, la volonté est la source ultime de nos choix et de nos actions, nous rendant moralement responsables de nos actes.

À l’opposé, les déterministes comme Spinoza ont soutenu que la volonté n’est qu’une illusion, nos choix étant en réalité entièrement déterminés par des causes antérieures. Dans cette perspective, la responsabilité morale n’a pas de sens, puisque nous ne sommes pas les véritables auteurs de nos actes.

Entre ces deux positions extrêmes, les compatibilistes comme Hume et Dennett ont tenté de réconcilier le libre arbitre avec le déterminisme. Ils affirment que la volonté peut être libre même si elle est causalement déterminée, à condition qu’elle soit le produit de nos propres désirs et délibérations.

Au-delà de ces débats métaphysiques, les philosophes ont également réfléchi à la volonté sous l’angle de l’autonomie et de l’agentivité morale. Kant, par exemple, a vu la volonté comme la capacité d’agir selon des principes moraux auto-imposés, faisant de l’être humain un agent autonome.

D’autres, comme Sartre, ont mis l’accent sur la dimension existentielle de la volonté, la décrivant comme le fondement de la liberté humaine et de la responsabilité qui en découle. Selon eux, c’est par l’exercice de notre volonté que nous nous définissons et donnons un sens à notre existence.

Ainsi, la philosophie a joué un rôle central dans la conceptualisation de la volonté, explorant ses liens avec le libre arbitre, l’autonomie et la responsabilité morale. Bien que les débats restent ouverts, ces réflexions philosophiques ont profondément influencé la façon dont nous comprenons et appréhendons la volonté.

L’antiquité

Les origines du concept de volonté remontent à l’Antiquité, lorsque des philosophes grecs tels que Platon et Aristote ont commencé à s’interroger sur la nature du libre arbitre et de l’agentivité humaine. Dans ses dialogues, Platon décrit la volonté comme une faculté de l’âme distincte à la fois de la raison (logos) et du désir (epithumia), la considérant comme une force intermédiaire permettant d’orienter l’individu vers le bien. Aristote, quant à lui, la définit comme un désir rationnel guidé par la délibération, insistant sur l’idée que l’humain est en mesure de choisir librement son action tout en s’appuyant sur la raison.

Cette double approche, platonicienne et aristotélicienne, jette les bases d’une réflexion qui marquera durablement la philosophie occidentale, en soulignant l’importance de l’équilibre entre raison et désir dans l’accomplissement d’actions volontaires. De nombreux penseurs ultérieurs s’appuieront sur ces premiers fondements pour approfondir la notion de volonté et en examiner les multiples implications morales, éthiques et psychologiques.

L’arrivé du péché : la volonté au Moyen Âge

Au Moyen Âge, la réflexion autour de la volonté prend une tournure décisive grâce aux penseurs chrétiens, et notamment Augustin d’Hippone (plus connu sous le nom de saint Augustin) et Thomas d’Aquin. Inspirés par la tradition philosophique grecque, ils y ajoutent toutefois une dimension théologique inédite, en reliant plus étroitement la volonté à la notion de responsabilité morale et de péché.

Pour saint Augustin, la volonté est marquée par la condition humaine déchue, mais elle reste libre de s’orienter vers le bien ou vers le mal. Cette idée est intimement liée à la doctrine du péché originel, qui met en évidence le combat intérieur entre la grâce divine et les inclinations humaines. Thomas d’Aquin, quant à lui, s’appuie sur la pensée aristotélicienne pour approfondir la compréhension de la volonté comme une faculté rationnelle, appelée à collaborer avec l’intellect. Selon lui, l’être humain demeure en mesure d’exercer un choix moral pleinement conscient, condition indispensable à la notion de mérite ou de faute.

Ces réflexions ont eu un impact durable, car elles ont fixé les bases d’une vision occidentale de l’être humain comme agent libre et moralement responsable de ses actions.

La volonté à l’époque de la Renaissance

Au cours de la Renaissance, période de renouveau intellectuel et culturel, la conception de la volonté libre subit d’importantes remises en question sous l’impulsion de penseurs comme René Descartes et Baruch Spinoza.

D’un côté, Descartes, avec la notion de dualisme entre l’âme (ou l’esprit) et le corps, réaffirme la liberté de la volonté tout en soulignant que cette faculté est étroitement liée à la raison. Il estime que le libre arbitre est l’un des attributs fondamentaux de l’âme humaine, mais il introduit aussi l’idée que nos passions et perceptions corporelles peuvent influencer notre capacité à choisir librement.

Spinoza adopte une vision beaucoup plus déterministe, soutenant que la volonté et l’ensemble des phénomènes de la nature sont soumis à une causalité stricte. Selon lui, ce que l’on appelle « libre arbitre » n’est que l’illusion d’une conscience partielle de nos désirs et de nos pensées, tandis que nos actions s’inscrivent dans la nécessité de la substance unique qu’est Dieu ou la Nature. Cette perspective, profondément novatrice pour l’époque, a suscité de vifs débats, car elle bouleversait la tradition philosophique et religieuse qui considérait la volonté comme pleinement libre.

David Hume : la liberté de vouloir

La philosophie du philosophe écossais David Hume (1711-1776) propose une approche où la causalité n’annule pas la liberté de vouloir. Selon Hume, la volonté ne peut pleinement s’exercer que lorsqu’aucune force extérieure ne contraint ou ne bloque l’individu dans l’expression de ses désirs et de ses choix. Ainsi, un acte « volontaire » est d’abord et avant tout un acte où la personne agit librement en fonction de ses propres inclinations et délibérations, sans être physiquement ou moralement contrainte à agir autrement.

Ce qui importe pour Hume, c’est la provenance de cette volonté. Si nos pensées et nos actions découlent de causes internes – notre caractère, nos expériences passées, nos dispositions naturelles –, alors elles sont librement voulues, même si elles s’inscrivent dans une chaîne causale. Autrement dit, la volonté est compatible avec l’idée que toute action a des antécédents, à condition que ceux-ci appartiennent à notre histoire personnelle plutôt qu’à une coercition ou une contrainte extérieure.

De cette manière, Hume redéfinit la « liberté de la volonté » comme le pouvoir d’accomplir ce qu’on veut (ou de ne pas l’accomplir), sans subir la domination de forces étrangères à notre propre nature. Dans ce cadre, il est moins question d’éliminer toute forme de déterminisme que de s’assurer que la volonté reste le produit de ce que nous sommes intimement, plutôt que le résultat d’une imposition externe. C’est pourquoi Hume est qualifié de « compatibiliste » : il admet l’existence de lois causales, tout en affirmant que notre volonté reste libre lorsque les causes en sont les nôtres.

Kant, la volonté et la morale

Au XVIIIᵉ siècle, Emmanuel Kant, qui reconnait avoir été « réveillé de son sommeil dogmatique » par la lecture de Hume, marque un tournant décisif dans la réflexion philosophique sur la volonté et la liberté. Dans ses œuvres, notamment la Fondation de la métaphysique des mœurs et la Critique de la raison pratique, il met en avant l’idée que la volonté véritablement libre est celle qui agit conformément à des principes moraux universels, émanant de la raison elle-même. Autrement dit, l’individu n’est pas simplement soumis à des désirs ou à des influences extérieures, mais il est capable de se donner sa propre loi morale.

Pour Kant, cette autonomie de la volonté se traduit par l’obéissance à l’impératif catégorique, lequel exige d’agir de telle sorte que la maxime de son action puisse être érigée en loi universelle. Dans cette perspective, la liberté n’est pas la simple absence de contraintes : elle consiste plutôt à se conformer volontairement à des principes rationnels considérés comme valables pour tout être raisonnable. Kant réaffirme ainsi la dignité et la responsabilité de l’être humain, qui s’élèvent à travers la loi morale qu’il se prescrit lui-même.

Le point de vue de Schopenhauer

Pour le philosophe allemand Arthur Schopenhauer (1788-1860), la « volonté » (Wille) occupe une place centrale dans l’explication de la réalité. Dans son ouvrage majeur, Le Monde comme Volonté et comme Représentation (1818), il décrit cette volonté comme un élan aveugle, irrationnel et universel, source de tout ce qui existe. À ses yeux, la volonté constitue la véritable essence du monde, tandis que ce que nous nommons « réalité » n’est qu’une représentation façonnée par notre esprit.

Schopenhauer insiste sur le fait que l’être humain ne peut saisir qu’une infime partie de cette force fondamentale, en raison de ses limites cognitives. En d’autres termes, notre conscience n’accède qu’aux manifestations phénoménales de la volonté, sans pouvoir en embrasser la totalité. Cette vision confère à la volonté un caractère primordial et indifférencié, qui dépasse largement les catégories rationnelles ou morales habituelles. Notre perception du réel, dominée par les notions de temps, d’espace et de causalité, n’est pour lui qu’un voile trompeur, dissimulant l’essence première de la volonté.

En conséquence, Schopenhauer conçoit l’existence comme un perpétuel désir insatisfait, marqué par la souffrance. Puisque la volonté aveugle ne cesse de tendre vers de nouveaux objets, le repos durable ou la satisfaction ultime se révèlent impossibles. C’est notamment pour cette raison qu’il se tourne vers des perspectives inspirées du bouddhisme et du védisme, cherchant à montrer comment la négation de la volonté — ou du moins la réduction de ses impulsions — peut constituer une voie vers la paix intérieure et l’extinction de la souffrance.

Kierkegaard et la liberté de choisir

Bien que Søren Kierkegaard (1813–1855) n’ait pas rédigé de traité systématique sur la « volonté », le philosophe chrétien a cependant abordé ce thème de manière éparse dans ses œuvres, en insistant notamment sur l’importance du choix individuel, de l’engagement et de la lutte intérieure pour aligner son existence sur un but supérieur.

Kierkegaard explique que la volonté doit se concentrer sur un objectif unique et élevé (le Bien, ou Dieu) plutôt que de se disperser dans de multiples désirs. Cette unification exige un travail intérieur soutenu, marquant l’exigence de la liberté et de la foi.

Il évoque aussi le choix et la responsabilité individuelle dans Either/Or, La Crainte et le Tremblement ou encore Le Concept d’angoisse, ouvrages dans lesquels il montre que l’existence est marquée par la nécessité de choisir, et que cet acte même de choisir engage la volonté. L’angoisse naît de la conscience de notre liberté et de la responsabilité qu’elle implique.

Dans La Maladie à la mort, Kierkegaard aborde le désespoir comme un écart entre ce que nous sommes appelés à être et ce que nous voulons réellement devenir. Le désespoir survient lorsque notre volonté est mal orientée ou quand nous refusons de vouloir ce que nous sommes en profondeur. S’aligner sur son être authentique implique une réorientation volontaire.

Kierkegaard insiste donc sur l’expérience vécue : la volonté est un choix continu, un combat intérieur et un moyen d’accéder à l’authenticité. Elle est indissociable de la liberté et de la responsabilité individuelles, se manifestant dans l’angoisse du choix et la quête d’une cohérence intérieure face à l’absurdité ou aux injonctions extérieures. Si vous êtes comme la majorité de la population (à en juger par la crise d’obésité de nos sociétés) vous ne pouvez que valider la notion de choix continu et de combat intérieur, dans la mesure ou vous avez eu à résister à la tentation de prendre une part de dessert supplémentaire.

Le concept Nietzschéen de volonté de puissance

Friedrich Nietzsche (1844-1900) élabore dans ses œuvres la célèbre notion de Volonté de puissance (Wille zur Macht), qu’il considère comme le principe fondateur de toute vie et la source de toute force créatrice. Pour lui, l’existence humaine, et plus largement l’existence de tout ce qui est vivant, est traversée par des pulsions et des instincts qui aspirent sans cesse à s’affirmer, à s’élever et à se dépasser. Dans des textes comme Ainsi parlait Zarathoustra ou Par-delà bien et mal, Nietzsche souligne que ce dynamisme fondamental est à l’origine des valeurs et des jugements que nous formons, et qu’il constitue le véritable moteur de l’évolution individuelle et collective.

Contrairement aux conceptions morales dominantes de son époque, qui tendent à réprimer ou à brider ces élans instinctifs, Nietzsche voit dans la Volonté de puissance un puissant levier d’affirmation de la vie. Il critique la morale traditionnelle, la jugeant décadente ou « nihiliste » lorsqu’elle étouffe la capacité de création et d’élévation personnelle. Selon lui, l’être humain ne peut s’épanouir pleinement qu’en adoptant une attitude de dépassement de soi, en embrassant et en canalisant cette force vitale plutôt qu’en la rejetant au nom de dogmes ou d’interdits externes.

À ses yeux, la Volonté de puissance n’est pas seulement la volonté de dominer autrui : elle se déploie d’abord et avant tout comme une quête d’intensité et d’accroissement de l’existence. Elle s’exprime dans la création artistique, la découverte scientifique, l’action politique ou la quête spirituelle, à chaque fois qu’un individu ou un groupe cherche à se dépasser pour atteindre un niveau supérieur d’expérience ou de connaissance. De cette manière, Nietzsche renverse les perspectives morales traditionnelles : là où elles voient un danger ou un péché, il discerne une source d’épanouissement et d’intensification de la vie.

Les travaux de Freud

Au début du XXᵉ siècle, Sigmund Freud remet profondément en question la conception traditionnelle d’une volonté pleinement consciente et rationnelle, en introduisant l’idée que cette volonté n’est que la partie émergée de l’iceberg. Pour lui, la psyché humaine est traversée par des forces inconscientes — désirs, pulsions, conflits — qui échappent au contrôle de la conscience et influencent de manière décisive nos pensées et nos actions. À travers son modèle en trois instances (le ça, le moi et le surmoi), Freud montre que notre « moi » se retrouve souvent en conflit avec ces forces inconscientes, cherchant un équilibre entre les impératifs moraux, les conventions sociales et les pulsions plus fondamentales.

Cette approche freudienne a grandement marqué la psychologie et la culture occidentale, car elle souligne que la volonté consciente ne suffit pas à rendre compte de toute la complexité de l’expérience humaine. Même si les travaux de Freud font aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques — qu’il s’agisse d’un manque de rigueur scientifique ou de l’absence de validation empirique pour certaines de ses théories — son intuition que la conscience est loin de tout contrôler demeure stimulante pour la réflexion contemporaine, à la fois en psychologie, en philosophie et dans les sciences humaines en général.

Henri Bergson et l’élan vital

Le philosophe français Henri Bergson (1859-1941) élabore, dans des ouvrages comme L’Évolution créatrice (1907), l’idée d’un élan vital au cœur de la réalité. Cet élan vital peut se comprendre comme une force créatrice en perpétuel mouvement, qui sous-tend le déploiement de la vie à travers le temps. Bergson met ainsi l’accent sur la « durée » (ou durée pure), cette conception d’un temps vécu de l’intérieur, fluide et irréversible, distinct de la conception scientifique du temps découpé en instants successifs.

Bien que son approche ne se concentre pas exclusivement sur la « volonté » au sens strict, la vision bergsonienne d’une énergie dynamique animant tous les êtres vivants offre une nouvelle perspective sur la liberté et le pouvoir de choisir. Pour Bergson, l’acte libre naît d’une intuition profonde de l’individu, un accès direct à notre moi intérieur, plutôt que d’une simple délibération rationnelle. Cela signifie que lorsqu’une personne agit librement, elle puise au plus profond d’elle-même, à l’abri des déterminismes extérieurs et des mécanismes intellectuels habituels.

Ainsi, la pensée de Bergson invite à reconnaître qu’il existe, au-delà du champ de la raison analytique, une force créative inscrite dans la vie même. Cette force peut s’apparenter à une forme de volonté, non pas purement consciente ou rationnelle, mais issue d’une impulsion vitale inédite, permettant de dépasser les cadres déterministes. En plaçant le temps vécu et l’intuition au premier plan, Bergson ouvre des voies de réflexion sur la possibilité d’une liberté plus authentique, enracinée dans la continuité vivante de l’existence plutôt que dans les simples calculs d’une raison froidement mécanique.

Michel Foucault et l’impact de la société sur l’humain

Le philosophe et historien français Michel Foucault (1926-1984) ne place pas la « volonté » au centre de sa réflexion de la même manière que les grands métaphysiciens ou psychologues. Son intérêt se porte plutôt sur les rapports de pouvoir et sur la façon dont les individus se transforment en « sujets » — un processus qu’il nomme « subjectivation ». Dans Surveiller et punir (1975), Foucault analyse, par exemple, les mécanismes de discipline et de contrôle social mis en place à l’époque moderne. À travers l’exemple de la prison et du « panoptique », il montre comment les institutions (école, caserne, hôpital, usine) façonnent des « corps dociles » et produisent des normes qui influencent les comportements, les désirs et les représentations des individus.

Dans cette perspective, la « volonté » n’apparaît pas comme une faculté purement intérieure et autonome, mais comme un phénomène à comprendre à l’aune des structures de pouvoir et de savoir au sein desquelles les individus évoluent. Pour Foucault, toute forme de subjectivité — y compris l’idée de « vouloir » quelque chose — est étroitement liée à des pratiques de soi (comme l’ascèse, la confession, l’écriture de soi) et aux discours qui prescrivent, valident ou marginalisent certains comportements et certaines identités. C’est donc moins la volonté elle-même qu’il cherche à définir que la manière dont, à travers l’histoire, les sociétés orientent, contraignent ou guident ce qui devient pensable et souhaitable pour les individus.

Foucault invite ainsi à se défaire d’une vision trop individualiste de la volonté. Au lieu de la concevoir comme une puissance libre et indépendante, il incite à l’envisager comme un champ de possibilités inscrit dans des rapports de force. Ses analyses montrent que notre sentiment de « vouloir » ou de « décider » se produit toujours dans un contexte social et culturel spécifique, balisé par des normes, des institutions et des savoirs qui en limitent ou en stimulent l’expression.

La volonté et l’existentialisme : Sartre

Jean-Paul Sartre, figure de proue de l’existentialisme, place la volonté au cœur de sa philosophie de la liberté totale. Dans L’Être et le Néant, il développe l’idée selon laquelle l’existence précède l’essence : l’être humain ne naît pas avec une nature préétablie, mais se construit au fil de ses choix. Pour lui, l’homme est « condamné à être libre », c’est-à-dire qu’il ne peut échapper à la nécessité de se déterminer lui-même en permanence. Cette capacité à se choisir, sans recours à un destin ou à une essence prédéfinis, rend la volonté à la fois exaltante et lourde de conséquences, puisque chaque décision engage entièrement l’individu.

Sartre souligne également l’angoisse qui naît de cette liberté absolue : dans un univers dépourvu de sens objectif, l’homme doit assumer seul la responsabilité de ses actes. Il n’existe aucune autorité extérieure ou valeur transcendante pour lui dicter sa conduite, si bien que c’est lui-même qui doit forger le sens de son existence.

Cette exigence, au cœur de la volonté sartrienne, implique non seulement la reconnaissance de sa propre liberté, mais aussi le refus de la « mauvaise foi », c’est-à-dire de toute attitude qui consisterait à se réfugier derrière des excuses ou des déterminismes pour éviter de choisir. La volonté, chez Sartre, incarne donc la puissance de s’inventer et de s’assumer pleinement, dans la lucidité et parfois l’angoisse que suscite cette autonomie radicale.

Robert Kane et le libre arbitre

Le philosophe américain Robert Kane, grand spécialiste de la question du libre arbitre, propose une approche nuancée qui cherche à concilier l’existence d’une volonté libre avec des éléments de déterminisme partiel. Dans des ouvrages majeurs tels que The Significance of Free Will (1996), il remet en question l’opposition trop stricte entre un déterminisme complet (où toute action serait intégralement causée par des facteurs antérieurs) et un indéterminisme radical (où les choix surgiraient de manière totalement aléatoire). Pour Kane, la liberté humaine peut exister au sein d’un réseau de causes génétiques, environnementales et socio-culturelles, à condition de reconnaître l’existence de « moments d’indétermination ».

Ces moments clés correspondent à des situations où l’agent, placé face à un dilemme ou à des motivations conflictuelles, est en mesure de prendre une décision authentiquement libre. Kane appelle parfois ces choix critiques des « décisions déchirantes » (torn decisions), car l’individu hésite entre plusieurs voies tout en sentant qu’il peut véritablement influer sur l’issue de ce conflit intérieur. C’est dans ces instants que la volonté se révèle : elle n’est ni l’expression d’un arbitraire pur, ni le simple produit d’un enchaînement causal inévitable, mais le fruit d’une délibération consciente qui engage la responsabilité morale de l’agent. Ainsi, loin de nier l’impact des déterminismes partiels, Kane considère que la volonté libre s’exerce précisément à la frontière de ces contraintes, dans la résolution autonome de choix difficiles où l’indétermination laisse place à une véritable initiative personnelle.

Michel Onfray et la force de vivre

Le philosophe français Michel Onfray (né en 1959) développe une pensée nourrie par l’éthique matérialiste et l’hédonisme, dans la lignée d’Épicure et de certains courants libertaires. Bien qu’il n’emploie pas toujours le terme « volonté » de manière formelle, l’idée d’une volonté libre et autonome traverse son œuvre. Pour Onfray, il est indispensable de forger sa propre autonomie en se libérant des dogmes religieux, politiques ou culturels qui limitent la capacité de chacun à penser et à agir par lui-même. Dans cet esprit, il valorise l’idée d’une « force de vivre » et d’un élan vital qui pousseraient l’individu à se réaliser pleinement, sans se soumettre à des contraintes extérieures qu’il n’aurait pas choisies.

Dans plusieurs de ses écrits, dont Traité d’athéologie et La sculpture de soi, Onfray souligne l’importance de s’affranchir de l’aliénation religieuse ou sociale pour mieux prendre conscience de sa puissance d’agir. Selon lui, le bonheur et la réalisation personnelle ne se trouvent pas dans le renoncement à soi, mais dans l’affirmation d’une volonté lucide, capable d’évaluer les contraintes du monde matériel tout en choisissant une voie de liberté. Il s’agit de s’approprier les plaisirs de la vie de manière réfléchie et responsable, plutôt que de céder à des injonctions morales ou spirituelles qui nient la nature même de l’être humain.

Ainsi, même si Onfray ne fait pas systématiquement référence au concept de « volonté » dans un registre philosophique, l’ensemble de son œuvre propose une vision de l’individu comme créateur de soi-même, en lutte permanente pour échapper aux carcans institutionnels et idéologiques. Cette démarche s’inscrit dans une tradition de pensée où la liberté, l’autonomie et l’hédonisme se conjuguent pour favoriser l’épanouissement d’une volonté affranchie, intimement liée à la joie de vivre.

Daniel Dennett : la volonté résulte de la capacité de penser

Le philosophe américain Daniel Dennett (né en 1942) adopte une position résolument naturaliste pour aborder la question du libre arbitre et de la volonté. Selon lui, même dans un univers entièrement régi par des lois physiques, les êtres humains peuvent développer des capacités remarquablement complexes de raisonnement, de prise de décision et d’anticipation. Dans des ouvrages clés tels que Elbow Room (1984) et Freedom Evolves (2003), Dennett soutient que nous disposons d’une forme de « libre arbitre » qui mérite d’être préservée et défendue, précisément parce qu’elle découle de l’exercice de nos facultés cognitives supérieures. Autrement dit, loin d’être une illusion, ce libre arbitre est le produit de mécanismes cérébraux qui nous permettent de réfléchir, d’évaluer nos options et de peser les conséquences de nos actes.

Du point de vue compatibiliste (qui n’est pas si éloigné du point de vue de Humes) que défend Dennett, la volonté est dite « libre » lorsque les désirs et les choix qui la motivent proviennent réellement de l’individu lui-même, et qu’ils ne sont pas imposés de l’extérieur par une force coercitive ou une manipulation.

Il s’agit donc de déterminer si nos décisions reflètent sincèrement nos inclinations, notre caractère et nos valeurs, plutôt que de chercher à établir une rupture absolue avec la chaîne causale de l’univers. En effet, Dennett rappelle que le fait d’être soumis à des lois naturelles n’exclut pas la possibilité de développer des processus internes d’analyse et de délibération : les contraintes physiques ne nous empêchent pas de nous forger une volonté autonome, tant que nous agissons en accord avec ce que nous estimons légitimement être notre propre nature et nos propres objectifs.

Ainsi, Dennett met en avant une version moderne et nuancée du compatibilisme, où la volonté humaine, même enracinée dans un déterminisme naturel, n’en demeure pas moins libre et digne d’intérêt. Cette approche offre une perspective optimiste sur la capacité des individus à prendre en main leur destin et à répondre de leurs choix, en dépit des lois objectives qui gouvernent l’univers.

La perception orientale de la notion de volonté

Dans de nombreuses traditions non occidentales, la conception de la « volonté » et de la « force de volonté » se révèle souvent plus nuancée que dans les philosophies européennes classiques, où l’on tend à souligner l’autonomie individuelle et la maîtrise de soi rationnelle.

En Inde, en Chine, au Japon ou encore dans certains contextes insulaires tels que les cultures samoanes, indonésiennes et malaisiennes, la volonté est fréquemment envisagée de manière collective, spirituelle ou holistique, plutôt que comme une faculté purement individuelle.

La tradition indienne

En Inde, la conception de la volonté est profondément ancrée dans la tradition philosophique et spirituelle. Le concept de sankalpa constitue une dimension fondamentale de cette approche. Dans la tradition yogique, le sankalpa représente bien plus qu’une simple intention : c’est une résolution consciente qui engage l’être tout entier. Cette force créatrice est capable de transformer la réalité intérieure et extérieure. Cette notion prend une importance particulière dans le Yoga Nidra, où le pratiquant formule un sankalpa comme point d’ancrage de sa transformation personnelle. Pour être véritablement efficace, le sankalpa doit émerger du cœur (hridaya) plutôt que du mental ordinaire.

L’icchā-śakti (pouvoir de la volonté) occupe une place centrale dans la tradition hindoue. Elle constitue l’une des trois forces fondamentales (trishakti), aux côtés de jñāna-śakti (pouvoir de la connaissance) et kriyā-śakti (pouvoir de l’action). Dans le Shivaïsme du Cachemire, icchā-śakti est considérée comme la force primordiale qui précède toute manifestation. Cette énergie de volonté, étroitement liée à la conscience pure (cit), est perçue comme un aspect de la nature divine. Elle permet à l’individu de s’aligner sur le dharma (l’ordre cosmique) et de réaliser sa véritable nature.

La pratique spirituelle (sādhana) accorde ainsi une place essentielle au développement de la volonté dans le cheminement spirituel. Les textes traditionnels insistent sur l’importance d’une volonté purifiée, libérée des conditionnements (samskāras). La méditation et les pratiques yogiques visent ainsi à renforcer cette volonté pure tout en dissolvant les obstacles intérieurs. Dans cette perspective, la volonté individuelle doit progressivement s’harmoniser avec la volonté divine ou cosmique.

Les Upanishads abordent la volonté en l’associant souvent à la notion de désir (kāma), qui peut soit enchaîner l’être aux cycles de renaissance, soit le conduire vers la libération. Ces textes établissent une distinction claire entre la volonté égoïque, liée à l’ahamkāra, et la volonté spirituelle pure. L’accent est mis sur la purification progressive de la volonté à travers la discipline spirituelle et la dévotion.

Dans la conception du karma, la volonté joue un rôle déterminant. Une volonté pure et alignée sur le dharma engendre un karma favorable à l’évolution spirituelle. Toutefois, la notion de libre arbitre est nuancée par la reconnaissance des influences karmiques passées. Le travail sur la volonté vise donc à transcender le cycle même du karma..

C’est dans ce contexte que la pratique du yoga insiste sur la nécessité d’harmoniser le mental, le corps et la respiration, de sorte que la volonté (ou la discipline de soi) soit mise au service de la libération intérieure (moksha).

Le bouddhisme

Dans le bouddhisme, la volonté est reliée au terme cetanā, qui désigne l’intention ou la volition à l’origine de l’action : le pratiquant cherche à purifier cette intention pour atténuer l’avidité et l’ignorance, plutôt que d’imposer une force volontariste sur le monde extérieur.

Cette notion ne se limite pas à une simple intention superficielle, mais représente la force motrice profonde qui sous-tend toutes nos actions. Le Bouddha lui-même soulignait l’importance cruciale de cetanā en affirmant que c’est l’intention qui détermine la nature karmique de nos actes.

La pratique bouddhique propose une approche subtile de la volonté qui se distingue nettement des conceptions occidentales du volontarisme. Plutôt que d’exercer une volonté forte pour contrôler ou modifier le monde extérieur, l’accent est mis sur la purification progressive de l’intention. Cette purification passe par une observation attentive des motivations qui sous-tendent nos actions, nos paroles et nos pensées. Le pratiquant apprend à reconnaître les racines mentales de ses actes : sont-ils motivés par l’avidité (lobha), l’aversion (dosa) ou l’illusion (moha) ?

Dans la tradition du Dharma, cetanā est intimement liée à la compréhension du karma. Les textes bouddhiques expliquent que c’est l’intention, plus que l’action elle-même, qui détermine la qualité karmique d’un acte. Cette perspective souligne l’importance de cultiver des intentions saines et bienveillantes plutôt que de se focaliser uniquement sur les résultats visibles de nos actions.

La méditation joue un rôle essentiel dans ce travail sur l’intention. À travers la pratique de la pleine conscience (sati), le méditant développe une conscience plus aigüe des mouvements subtils de la volonté. Il apprend à observer comment les intentions surgissent, se développent et influencent le cours de ses actions. Cette observation attentive permet progressivement de désamorcer les schémas réactifs basés sur l’avidité et l’ignorance.

Le but ultime de ce travail sur cetanā n’est pas d’annihiler la volonté, mais de la transformer en une force plus sage et compatissante. Au fur et à mesure que le pratiquant progresse sur le chemin, ses intentions s’alignent naturellement avec les qualités d’éveil (bodhicitta) : la sagesse, la compassion et la claire compréhension de la nature interdépendante de tous les phénomènes. Cette transformation de la volonté constitue un aspect fondamental de la voie vers la libération (nirvana), où l’action juste découle spontanément d’une intention purifiée plutôt que d’un effort volontariste.

L’approche Chinoise

En Chine, la notion de volonté (zhi, 志) prend des nuances différentes selon les courants de pensée.

Le Confucianisme

Dans le confucianisme, on souligne l’importance d’une volonté morale, orientée par la recherche de l’harmonie sociale et du perfectionnement intérieur. Il s’agit d’une vision éthique et sociale profonde qui place l’harmonie collective au cœur de la cultivation (fait de se cultiver) personnelle. Cette tradition philosophique chinoise considère que la volonté individuelle ne peut être dissociée de la responsabilité morale envers la communauté.

Le concept de volonté morale (zhì) dans le confucianisme est étroitement lié à la notion de perfectionnement de soi (xiushēn). Cette volonté n’est pas une force brute d’autodétermination, mais plutôt une orientation consciente vers l’excellence morale et la sagesse. Les textes classiques, notamment les Entretiens de Confucius, insistent sur le fait que cette volonté doit être cultivée à travers l’étude constante, la pratique des rites (lǐ) et l’observation des modèles de vertu.

Le développement de la volonté morale passe par plusieurs étapes essentielles. La première consiste à reconnaître et à comprendre les principes moraux fondamentaux, notamment la bienveillance (rén), la droiture (yì), la bienséance (lǐ), la sagesse (zhì) et la sincérité (xìn). La volonté doit ensuite être orientée vers l’incarnation de ces vertus dans la vie quotidienne.

L’harmonie sociale occupe une place centrale dans cette conception de la volonté. Le confucianisme enseigne que la véritable réalisation de soi ne peut se faire qu’à travers des relations harmonieuses avec autrui. La volonté individuelle doit donc être constamment ajustée pour tenir compte des besoins de la famille, de la communauté et de la société dans son ensemble. Cette perspective contraste avec les conceptions occidentales plus individualistes de la volonté.

Le perfectionnement intérieur est vu comme un processus continu qui nécessite une vigilance constante. Les textes confucéens soulignent l’importance de l’auto-examen régulier et de la rectification de ses propres pensées et actions. La volonté morale doit être suffisamment forte pour résister aux tentations et aux influences négatives, tout en restant souple pour s’adapter aux circonstances changeantes.

Cette approche de la volonté s’inscrit dans une vision plus large de l’ordre cosmique (tiān). Le sage confucéen cherche à aligner sa volonté non seulement sur les principes moraux, mais aussi sur l’ordre naturel des choses. Cette harmonisation permet d’atteindre un état où l’action juste découle naturellement d’une volonté bien cultivée, sans nécessiter un effort constant de contrôle.

La dimension éducative est également très importante dans cette conception de la volonté morale. Le confucianisme met l’accent sur le rôle des enseignants et des modèles moraux dans la formation de la volonté. L’apprentissage ne se limite pas à l’acquisition de connaissances, mais vise à transformer profondément la personne pour qu’elle devienne un être moralement accompli.

La volonté est donc conçue comme une force transformatrice qui, correctement orientée, permet à l’individu de contribuer à l’harmonie sociale tout en réalisant son propre potentiel moral. Cette double dimension, personnelle et collective, fait de la volonté morale un pilier essentiel de la pensée confucéenne.

Le taoisme

En revanche, le taoïsme (Daojia) suggère une approche plus spontanée, valorisant le « non-agir » ou « agir sans forcer » : il s’agit de laisser la volonté s’inscrire naturellement dans le flux des choses, sans tenter de dominer ni de contrôler à outrance.

En se distinguant radicalement des approches volontaristes que l’on trouve dans d’autres traditions philosophiques, le taoïsme propose une vision subtile où la volonté n’est pas une force de contrôle ou de domination, mais plutôt une capacité à s’harmoniser avec le cours naturel des choses, le Dao.

Le concept central de wuwei (无为) représente l’art délicat d’agir sans forcer, d’accomplir sans contraindre. Cette notion, souvent mal comprise comme une simple passivité, désigne en réalité un mode d’action parfaitement accordé aux circonstances. Les textes taoïstes, notamment le Dao De Jing de Laozi (souvent appelé Lao-Tseu) utilisent souvent des métaphores naturelles pour illustrer ce principe : l’eau qui, sans volonté apparente, parvient à creuser la pierre ; le bambou qui, en pliant sous le vent, résiste mieux que le chêne rigide.

Cette approche de la volonté s’enracine dans une compréhension profonde des cycles naturels et des transformations spontanées de l’univers. Le sage taoïste cultive une sensibilité aux moments opportuns, aux ouvertures naturelles qui permettent l’action juste sans effort excessif. Il s’agit de développer ce que les textes appellent le « ziran » (自然), la naturalité ou la spontanéité authentique, plutôt qu’une volonté artificielle guidée par les désirs et les conventions sociales.

Le taoïsme considère que la survalorisation de la volonté personnelle est souvent source de souffrance et d’échec. Lorsque nous nous obstinons à imposer notre volonté contre le cours naturel des événements, nous créons des résistances et des déséquilibres. Les maîtres taoïstes enseignent donc plutôt l’art de percevoir les tendances inhérentes aux situations et d’agir en harmonie avec elles. Cette approche requiert une forme particulière d’intelligence intuitive, capable de saisir les moments propices à l’action sans s’attacher à des plans rigides.

La pratique du wuwei implique également une transformation de notre rapport au contrôle. Au lieu de chercher à maîtriser chaque aspect de notre vie et de notre environnement, le taoïsme suggère de cultiver une forme de lâcher-prise éclairé. Cette attitude n’est pas une renonciation à l’action, mais une manière plus sage et plus efficace d’accomplir ce qui doit l’être, en accord avec la nature profonde des choses.

Les arts taoïstes, qu’ils soient martiaux, méditatifs ou thérapeutiques, incarnent cette conception de la volonté. Dans le tai-chi par exemple, la force ne vient pas d’une tension musculaire ou d’une volonté de dominer l’adversaire, mais d’une capacité à percevoir et à utiliser les énergies en présence. De même, la méditation taoïste ne vise pas à contrôler l’esprit par la force, mais à cultiver un état de présence détendue où les pensées et les émotions peuvent circuler librement.

Cette philosophie de l’action sans force s’étend à tous les domaines de la vie, y compris la gouvernance et les relations sociales. Les textes taoïstes suggèrent qu’un dirigeant sage gouverne avec une légèreté qui permet à chacun de suivre sa nature propre, plutôt que d’imposer un ordre rigide par la contrainte. Cette sagesse politique reflète une compréhension profonde de la manière dont la volonté peut s’exercer efficacement sans créer de résistance ni de conflit.

L’approche nippone

Au Japon, la persévérance et la détermination sont souvent évoquées par le concept de gambaru (頑張る), profondément ancré dans la société japonaise et qui transcende la simple notion de volonté individuelle pour embrasser une dimension collective et sociale. Persévérance et détermination ne sont pas perçues uniquement comme une « volonté de fer » individuelle, mais aussi comme un sens du devoir et de la responsabilité partagée envers le groupe, la famille ou la société. L’influence du bouddhisme zen y a également introduit l’idée que la véritable force de l’esprit réside dans la concentration silencieuse et la capacité à « laisser aller » l’ego, plutôt que dans un volontarisme acharné.

Cette persévérance japonaise se manifeste dans un engagement quotidien qui va bien au-delà de l’effort personnel. Elle représente un idéal social où chaque individu est appelé à donner le meilleur de lui-même, non pas uniquement pour son propre accomplissement, mais par respect pour le groupe auquel il appartient. Cette dimension collective se retrouve dans de nombreux aspects de la vie japonaise, depuis l’éducation jusqu’au monde professionnel, où l’effort soutenu est valorisé comme une forme de contribution au bien commun.

Le sens du devoir (giri) et la conscience de la responsabilité sociale (sekinin) sont intimement liés à cette conception de la volonté. L’individu est perçu comme partie intégrante d’un réseau de relations et d’obligations mutuelles. Sa persévérance n’est pas simplement une manifestation de force personnelle, mais une expression de loyauté envers sa famille, son entreprise, ou sa communauté. Cette interconnexion des responsabilités crée un tissu social où la volonté individuelle s’exprime à travers le prisme des attentes collectives.

L’influence du bouddhisme zen a apporté une dimension supplémentaire à cette compréhension de la volonté. La pratique du zen met l’accent sur la concentration méditative (zazen) et le dépassement de l’ego. Cette approche suggère que la véritable force ne réside pas dans l’affirmation constante de la volonté personnelle, mais dans la capacité à atteindre un état d’esprit où l’effort devient naturel et sans tension. Le concept de mushin (無心, « esprit sans esprit ») illustre cet idéal d’action efficace libérée de l’attachement à l’ego.

Cette synthèse unique entre persévérance collective et lâcher-prise spirituel se reflète d’ailleurs dans les arts traditionnels japonais. Qu’il s’agisse des arts martiaux, de la cérémonie du thé, ou de la calligraphie, la maîtrise ne s’obtient pas uniquement par un effort acharné, mais par une pratique patiente qui transcende progressivement la dualité entre effort et naturel. L’artiste ou le pratiquant développe ce que les Japonais appellent ki-ryoku (気力), une force spirituelle qui combine détermination et fluidité.

La société japonaise moderne continue de valoriser cette approche nuancée de la volonté : même dans un contexte de changements rapides et d’influences globales, les valeurs de persévérance collective et d’harmonie sociale restent essentielles. Le gambaru s’exprime aujourd’hui dans de nouveaux contextes, mais conserve sa dimension d’engagement envers le groupe et de recherche d’excellence dans l’effort partagé. Ainsi, la résilience face à l’adversité n’est pas vue comme un simple acte de volonté personnelle, mais comme une manifestation de force collective et de sagesse accumulée. Les épreuves sont affrontées avec une détermination qui puise sa force dans le soutien mutuel et la conscience d’une responsabilité partagée.

Autres approches asiatiques de la notion de volonté

Dans les cultures océaniennes, la conception de la volonté s’inscrit dans une vision du monde où l’individu est profondément intégré dans un tissu de relations sociales, spirituelles et cosmiques. Cette perspective se distingue nettement des conceptions occidentales plus individualistes de la volonté.

À Samoa, l’expression de la volonté est indissociable du concept d’aiga, qui représente bien plus qu’une simple structure familiale. L’aiga constitue un système complexe de relations, d’obligations et de soutien mutuel qui s’étend au-delà de la famille nucléaire pour englober la famille élargie et même la communauté villageoise. Dans ce contexte, la volonté individuelle ne peut être comprise comme une force isolée, mais comme une énergie qui doit nécessairement s’aligner avec les besoins et les aspirations de la communauté.

Le respect des ancêtres joue un rôle fondamental dans cette conception de la volonté. Les ancêtres ne sont pas simplement honorés comme des figures du passé, mais sont considérés comme des présences actives qui guident et influencent les décisions du présent. La volonté individuelle doit donc être exercée en conscience de cette continuité spirituelle et temporelle, en cherchant l’harmonie avec la sagesse ancestrale.

Dans l’archipel indonésien et en Malaisie, la conception de la volonté s’exprime à travers des notions comme l’ikhtiar et l’usaha, qui reflètent une approche nuancée de l’effort et de l’initiative personnelle. L’ikhtiar représente plus qu’un simple effort : c’est une démarche consciente qui combine persévérance et confiance dans l’ordre divin. Cette notion, influencée par la pensée islamique, suggère que la volonté humaine doit s’exercer tout en reconnaissant les limites de notre contrôle sur les événements.

L’usaha, quant à lui, évoque le labeur et l’entreprise, mais toujours dans une perspective qui tient compte de l’équilibre social et cosmique. Dans ces cultures, le succès individuel n’est pas valorisé en tant que tel, mais plutôt dans la mesure où il contribue à l’harmonie collective et s’inscrit dans un ordre plus vaste. Cette conception se reflète dans les pratiques traditionnelles, où les initiatives personnelles sont souvent précédées de rituels ou de consultations communautaires visant à assurer leur alignement avec le bien commun.

Ces traditions soulignent également l’importance du gotong-royong (l’entraide mutuelle) en Indonésie, où la volonté individuelle s’exprime le plus légitimement lorsqu’elle participe à des efforts collectifs. Cette valeur culturelle profonde suggère que la véritable force ne réside pas dans la capacité à imposer sa volonté, mais dans l’art de la conjuguer avec celle des autres pour atteindre des objectifs communs.

La modernité apporte de nouveaux défis à ces conceptions traditionnelles de la volonté. Cependant, ces cultures maintiennent une approche qui cherche à préserver l’équilibre entre aspirations individuelles et harmonie collective, entre initiative personnelle et respect des traditions. Cette sagesse ancestrale offre des perspectives précieuses pour repenser notre rapport à la volonté dans un monde de plus en plus interconnecté.

Ainsi, qu’il s’agisse du sankalpa indien, du zhi confucéen, du gambaru japonais ou de l’ikhtiar indonésien, les philosophies et cultures asiatiques proposent des visions variées de la volonté. Celles-ci insistent souvent sur la quête d’harmonie entre l’individu et son milieu — qu’il soit spirituel, social ou naturel —, bien plus que sur la seule affirmation d’une puissance égoïque. Il en ressort une conception plurielle de la volonté, oscillant entre discipline personnelle, intégration sociale et équilibre avec les forces universelles.

La volonté dans d’autres civilisations

Les conceptions de la volonté et de la force de volonté dans les cultures d’Amérique centrale, d’Amérique du Sud, d’Afrique ou encore parmi certains peuples du Nord, comme les Inuit, diffèrent également de celles rencontrées dans les traditions philosophiques occidentales. Elles mettent généralement en avant un équilibre entre l’individu et la collectivité, une intégration avec l’environnement naturel ou spirituel, ainsi qu’une attention particulière portée aux liens avec les ancêtres. La volonté en t

Amérique centrale et Amérique du Sud

Dans de nombreuses cultures méso-américaines (Maya, Nahua, etc.) ou sud-américaines (Quechua, Aymara, Mapuche), la volonté s’inscrit dans un contexte spirituel et communautaire. Par exemple, chez certains peuples andins, l’individu n’est pas séparé de la Pachamama (Terre-Mère) : la force de volonté n’est donc pas conçue comme une simple affirmation de soi, mais plutôt comme la capacité à maintenir l’harmonie entre l’être humain et le monde environnant. Des rituels et des offrandes peuvent accompagner ce travail de la volonté, afin de s’assurer la bienveillance des esprits et de préserver l’équilibre cosmique.

Afrique

Sur le continent africain, la volonté est souvent étroitement liée aux liens familiaux et communautaires. De nombreuses cultures valorisent l’ubuntu, un concept bantu que l’on résume souvent par « Je suis parce que nous sommes ». Ici, la force de volonté se définit moins par la capacité d’un individu à imposer ses désirs que par sa faculté à contribuer au bien-être du groupe et à perpétuer des liens ancestraux. En Afrique de l’Ouest, certaines traditions (comme chez les Yoruba) développent l’idée d’ori (l’« essence » ou la « destinée personnelle ») : on considère que la volonté doit s’accorder à cette destinée pour favoriser l’épanouissement de la personne et du collectif.

Les Inuit et d’autres peuples du Nord

Chez les Inuit, la conception de la volonté est profondément liée à la notion de « isuma » (pensée rationnelle, sagesse) qui implique non pas une domination de l’environnement par la volonté, mais une adaptation intelligente aux conditions naturelles. En effet, la survie en milieu arctique a historiquement nécessité une grande solidarité. La volonté et la force morale s’expriment alors à travers la coopération, le partage et le respect scrupuleux de l’environnement. L’individu fait preuve de force de volonté non pas en s’affirmant contre la nature ou ses congénères, mais en s’adaptant aux conditions extrêmes et en préservant l’équilibre social. Le maintien de l’harmonie entre les membres de la communauté et la nature environnante prime donc sur l’affirmation d’une volonté strictement individuelle. La persévérance est valorisée non comme une force brute, mais comme une capacité d’endurance et d’adaptation aux conditions extrêmes, toujours en lien avec la survie collective.

On le voit, dans l’ensemble de ces cultures, la volonté ne se réduit pas à une question de contrôle personnel ou de « muscle » mental à exercer : elle est profondément liée à la notion d’interdépendance, qu’elle soit communautaire, écologique ou spirituelle. L’aptitude à vouloir ou à persévérer s’entremêle ainsi avec la conscience du rôle de chacun dans un tissu relationnel plus vaste, qu’il s’agisse de la famille élargie, des ancêtres, des divinités ou du monde naturel.

En résumé

La volonté : un concept multidimensionnel

On le voit, la notion de volonté occupe une place centrale dans la réflexion philosophique et culturelle à travers le monde. Mais loin d’être un concept uniforme, elle revêt des significations et des implications variées selon les traditions et les contextes.

  • Pour Platon, la volonté est distincte de la raison et du désir. C’est une force permettant d’orienter l’individu vers le bien.
  • Pour Saint Augustin, la volonté est libre de s’orienter vers le bien ou le mal.
  • Thoams d’Aquin précise que cela résulte d’un choix moral pleinement conscient.
  • Descartes estime cependant que nos passions et perceptions corporelles influent notre capacité à choisir librement ce que nous voulons.
  • Hume se situe un peu dans cette lignée puisqu’il pose la liberté de choisir comme base de la volonté.
  • Kant est d’accord avec le concept mais il estime que la volonté doit agir conformément aux principes moraux dont l’individu se dote.
  • Kierkegaard rejoint cette thèse, losqu’il met en avant la responsabilité individuelle et la notion de choix continu.
  • Sartre n’est pas non plus très éloigné lorsqu’il estime que la liberté est absolue et la responsabilité totale, une idée que Onfray rejoint en partie.
  • Spinoza estime de son côté que la liberté qui résulte de notre capacité à exercer notre volonté n’est qu’une illusion, car nos actions sont rendues nécessaires par le monde dans lequel nous vivons.
  • C’est un avis que partage Freud, puisque pour ce dernier c’est l’inconscient qui commande.
  • Dans un même ordre d’idées, Foucault pense que nous sommes façonnés par notre environnement et que la volonté n’est que le résultat subjectif de cet environnement, ce qui élimine en quelque sorte la liberté de l’individu, puisque « le champ des possibles » est défini par un rapport de force qui est en faveur de la société.
  • Schopenhauer prend un peu le contrepied de Spinoza puisqu’il estime que la volonté est un élan vital, une force fondamentale qui équilibre le monde.
  • Nietzsche n’est pas vraiment opposé à cette idée, puisqu’il définit la volonté comme une volonté de puissance qui vise à permettre à l’individu de s’élever.
  • Bergson fait ausi partie de cette école de pensée, puisqu’il estime que la volonté réelle vient de l’intuition plus que de la raison.

La question du déterminisme est donc centrale dans la philosophie de l’action est de la volonté.
Entre déterminisme (nos actions sont causées par des raisons externes auxquelles nous ne pouvons pas échapper) et l’indéterminisme, on trouve Robert Kane qui estime que l’être humain dispose parfois de moments de liberté dépourvus de causes externes.

Enfin, notre exploration des approches dans des sociétés non-occidentales nous montre des chemins très intéressants. La volonté en tant qu’alignement avec la nature, avec un choix possible entre enchainement ou libération sous le poids du désir, le besoin de purification, ou la nécessité d’examiner ses propres intentions pour les désamorcer pour devenir plus sage et accéder à la compassion. Un véritable manuel de psychologie appliquée. Les notions d’équilibre, d’harmonie et de morale sont également présentes avec toujours en toile de fond cette idée qu’il faut s’aligner à l’ordre naturel du monde – parfois simplement en trouvant soi-même les moyens d’entrer en harmonie de façon non agressive. Enfin, on note le rôle de la volonté en tant qu’émanation et nécessité du groupe social auquel on appartient.

Dans le cadre de la gestion de tâches, ces évocations permettent de mener une réflexion personnelle. Qu’est-ce qui me pousse à agir ? Quelles sont les croyances qui me bloquent et m’empêchent d’exister par l’action ? Que puis-je pratiquer, quelle approche choisir pour parvenir à devenir une version de moi-même plus active car plus volontaire ?

C’est ce que nous verrons dans un prochain article consacré à la psychologie de la volonté.

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